Poèmes inédits
Poèmes
inédits par ordre alphabétique
ARS POETICA 1945
Au poète
désemparé qui patauge dans la neige fondue des songes
Au poète
trop épris de lui qui manie le revolver et la fronde
Rendons le
Verbe pour le Verbe
A la fois
matière et Pensée
A la fois
granit et temple
Il n'y a
plus de châteaux dans les déserts de la réalité .
Mais il y a
des laboratoires dans les grottes de l'étoile
Et par les
rayons de radar nous revient la magie de l'écho
Extase et
science
Vieux
attributs de la Kabbala
Dieu science
nature : c'était la Trinité du 13e siècle
Dieu qui
n'exista pas encore mais qui résultera
De
l'alliance de l'atome et de Saturne
Dans la
grande explosion de l'âme universelle
Voici poète
le château où tu résideras
Comme au
cœur d'un diamant aux 72 facettes lumineuses
Château
magique Diamant dialectique
Que Raziel
édifia et tailla
Inédit Saint-Dié des Vosges
Chanson du Pont-Marie. Deuxième version
Sous le Pont
Marie
Depuis dix
mille ans
La Seine
charrie
La mort et
la vie
Vers les
océans
Mais sur le
Pont
Les hommes
vont
Plus
lourdement
Plus
lentement
Ils portent
des sacs de charbon
De la rive
gauche à la rive droite
Et
rapportent la nuit au front
De la rive
riche à la rive étroite
Sous le Pont
Marie
Depuis dix
mille ans
La Seine
charrie
La mort et
la vie
Vers les
océans
Mais sur le
Pont
Les hommes
vont
Hâtivement
Obstinément
Ils portent
des chardonnerets
De la rive
gaie à la rive adulte
Et ne
rapportent que regrets
De la rive
fourbe à la rive occulte
Sous le Pont
Marie
Depuis dix
mille ans
La Seine
charrie
La mort et
la vie
Vers les
océans
Mais sur le
Pont
Les hommes
vont
Allègrement
Confidemment
Ils portent
des fleurs plein les bras
De la rive
noire à la rive impure
Et ne
rapportent qu'un cœur las
De la rive
injuste à la rive obscure
Sous le Pont
Marie
Depuis dix
mille ans
La Seine
charrie
La mort et
la vie
Vers les
océans
Chant du soldat de France 1940
Quand
sur la ligne Maginaire
La
lune jaune m'inondait
Je
rêvais qu'on faisait la guerre
Mais
la mort me fichait la paix
Ainsi
font font font
Les
petites baïonnettes
Font
trois coups
Et
puis s'en vont
Ils
sont venus de Barbarie
Derrière
Metz près de Châlons
Jusqu'à
Paris toute marrie
Et
j'ai marché à reculons
Ainsi
font font font
Les
petites mitraillettes
Font
cent coups
Et
puis s'en vont
Pourquoi
n'ai-je cueilli la rose
Avec
l'épine de Strasbourg ?
L'escalier
de l'apothéose
M'a
fait descendre de la Tour
Madame
à sa tour monte
Mironton
mironton mirontaire
Mais
Malbrough pour sa honte
N'était
pas mort en guerre
Cerises
de Montmorency
Muguet
de Chantilly
L'année
dernière pour Lucy
L'année
prochaine pour Lilly
Il
pleut bergère
Il
neige aussi
Ni
vin ni bière
Ne
tombe ici
J'ai
bu les Nuits j'ai bu les Graves
J'ai
bu les vins du désespoir
J'ai
dit que sur ma tombe on grave
«
Attendez moi jusqu'au Grand Soir »
Quand
Jean Renaud
De
la guerre revint
Il
avait beaucoup d'eau
Mis
dans son vin
Chant du
soldat de France. 1940 (Inédit) IV/70
Coeur sur glace
Navires sibériens sur les icebergs de nuit
Vous avez des oiseaux à bord
Les oiseaux noirs d'une fiancée inconnue
Celle qui a un cœur sous le sein transparent de neige
Mais dans ma maison de ciment armé
Ma barbe pousse comme aux morts
Mes yeux creusés pour mieux la recueillir
La femme sous mon crâne
L'oiseau de proie qui mange ma cervelle .
( Images de
Paris - n° 40, Avril 1923. 9 vers )
Crucifixion
L'automne a des mains jaunies
L'automne a des souliers rouges pour monter vers la
croix
Et n'a pas un ami dans sa forêt d'ossements
On entend le tam-tam des pommes qui tombent
On entend le tambour des noix qui tombent
Pour la danse des morts
Seule une ultime poire de la méditation
Pend encore dans l'espace, amante,
Et brûle le phosphore de nos anges doubles.
Yvan Goll :
L'VII, n° 31- Bruxelles 1967 ( inédit, 9 vers,p. 57)
Elégie de la solitude
I
Oh comme toute chose est seule
Et l'on se demande si l'amour existe
Comme cette lune est belle trop belle
La pêche mordue par un nuage
Et qui va rouler de l'autre côté de la nuit
Oh comme tout est seul
Inexorable silence
Inexorable aussi ce grillon
As-tu vu le mélèze sur le précipice
Qui se cramponne d'un seul bras
Et pourtant fait flotter son pavillon vert pâle
Vers son amour d'étoile
As-tu vu le crapaud tout en or et en rose
Le roi enchanté
Le bon gros roi obèse
Qui ne s'étonne ni de sa pourpre ni de sa bave
Et qui est seul sous sa fougère incomprise
Nous nous mourrons au fond de la terre
Comme au fond de la mer
Marcheurs nageurs voleurs au ralenti
Nous dormons au ralenti
Et seuls nos rêves bandent parfois
Des trajectoires d'or des coulées de diamant des
arcs-en-enfer
D'un brin d'algue à l'autre brin d'algue
Mais nous dormons surtout
Les yeux bandés les coeurs bandés
Nous marchons dans l'obscurité opaque du midi
orange
Nos ombres tâtent les murs montent les ponts
traversent les arbres
Nos ombres attrapent l'ange par un pan de chemise
Et lui demandent son identité
Les Cercles Magiques - inédit
Forêt
I
Une violette à mes pieds
Tomba soudain, étoile bleue :
Je la portai dans le soir d'or.
Avec nos yeux tous deux
Nous nous éclairâmes, nous consumant:
Nous aurions tant aimé, tous deux, crier et étreindre
!
Mais notre langue était si faible !
Si indiciblement triste, l'amour !
Flétris, nous sommes morts séparés.
II
Mais dans
tes animaux profonds
Assombris
dans leurs yeux humides, issue du même esprit,
Tu vins au
devant de moi, forêt, égale par la naissance.
O, être ta
créature,
Rien que
l'argile de ta terre,
Le papillon,
une goutte diaprée du soleil,
Et sentir
dans les buissons proches
Le sang fort
des renards efflanqués :
Etre abandon
et fraternelle paix !
Au profond
de tes bêtes je sus
Combien la
terre était sacrée,
Et me donnai
à toi
Et m'exhalai dans tes odeurs .
Yvan Goll : L'VII, n° 31- Bruxelles 1967 (inédit) p.
58
Gare de banlieue
Les
trains de banlieue charrient la nuit
Comme
une cargaison d'anthracite.
Ils
pleurent sur leurs boggies
Mais
cela ne leur sert à rien.
La
pluie aussi pleure sur les hangars d'ennui.
Dans
les champ désolés plus un corbeau.
Pourtant
dans les salles d'attente
Les
yeux brûlés par les phares d'espoir,
Aussi
dociles que leurs choses
Que
leur valise au hardes de bonheur
Les
naufragés du jour attendent.
Qu'attendent-ils
?
De
frêter un nuage ?
De
grimper dans un cerisier en fleurs ?
Où
simplement d'enterrer un cousin ?
Sang Nouveau (4 ème année-
XVII-XVIII N°1 et 2 mars/avril 1930 p.13)
Hymne à la France de Claire Goll
O France !
Sol asphalté de rêves doux,
Villégiature
de nombreux anges,
Je ne
voudrais t'approcher qu'à genoux.
Toujours tu
sens le printemps,
Pays, brodé
de roses
Et de
soupirs amoureux.
Tes bluets
sont plus bleus,
Tes colombes
plus blanches,
Tes bouches
plus rouges qu'ailleurs.
Comment ne
pas fondre à tes pieds,
Unique terre
sous laquelle je voudrais dormir,
Où les
oiseaux ne chantent qu'en français.
Tendre
patrie des batailles de fleurs
Et des étoiles
d'or de 80 carats,
O France,
prends cet impôt sur mon cœur !
Sagesse
Cahier 11- Printemps 1930 , Paris
Jean sans
Terre nettoyé par le Vide
En pleine lune un bain de chlore
M’imbibe de son poison blanc
Je bois aux thermes de phosphore
Le sortilège du néant
Dormeur de la ville d'amiante
J'erre par les palais d’oubli
Les trous des portes terrifiantes
Guettent l’amant enseveli
Mes pas mous sont sans résonnance
Parmi le sel noir et amer
De la nuit veuf de souvenances
Je marche contre l’univers
Je trébuche aux fûts des colonnes
Qui supportent le toit du Temps
Or parmi toutes ma colonne
Vertébrale se tient pourtant
Au fond de moi plus rien de l’homme
Ni d’alcalin ni de métal
Ce que je fus gerbe d’atomes
Retourne au tombeau capital
Du fond des mines du silence
Tu pouvais déceler le cri
Des cris le clef des transes
Et pourtant tu t’es endormi
Va-t-en ! Va-t-en ! Tu n’es pas digne
De la pourpre d’un seul matin
Crucifié par d’insignes signes
Ton cœur pourrit ton sang s’éteint
Sans Terre ? Jean ? La belle affaire !
Sans Graal sans Baal sans soif sans faim
Tu n’es que poils glandes viscères
Et sans commencement ni fin
Je brûlais sous la lumière glaciale
Et je gelais dans mon corset de chaux
J'avais faim à la table de Sardanapale
Et j'étais ivre d'évoquer de l'eau
Je vous dis adieu sans mes rides
Ces routes qui mènent plus loin
Que les boomerangs dans le vide
A capter le soleil rejoint
Corbeau juché sur mes vertèbres
Ami : de ton bec carnassier
Nettoie mes os de leurs ténèbres
Sois plus que féroce que l'acier
O vide-moi de ma substance
Et de mes rêves souterrains
Que l’imperméable silence
Me glace jusqu’au fond des reins
Vide-moi de ma folle danse
Et de ma pauvre vérité
Et du désir de l’alternance
D’être ou n’avoir pas été
Que mon lamentable squelette
Plus nu qu’au jour où il devint
Comme une coupe d’or s’apprête
A recevoir l’hôte divin
Déjà tout transpercé de lances
D’or et d’illumination
De l’ange de la pénitence
J’attends la domination
Je sens croître à mes omoplates
Deux pennes au soyeux duvet
Et s’ouvrir la fleur écarlate
De mon cœur enfin achevé
SEMAPHORE 1945 n° A (15 strophes)
Jour de Noël , Paris
1947 ( LETTRE à MARIE-ANNE )
Hier soir, avec Claire à la messe de minuit
à l'église Saint-Étienne du Mont,
sur la Montagne Sainte-Geneviève,
près du Panthéon.
Quel magnifique embrasement de l'âme !
Ah pierres vénérées de ces vieilles églises de Paris,
chacune saturée et nourrie des regards et des larmes
du peuple au coeur brûlant
et à l'esprit qui déploie ses grandes ailes
dans les vents qui agitent le Continent.
Pendant mes sept années d'exil en Amérique
j'ai si souvent
espéré cette soirée,
je me suis rappelé les mouvements gracieux
des ruelles
qui montent vers cette colline spirituelle ;
j'ai essayé de me remémorer les boutiques
d'humbles marchands
d'estampes ou de vieux livres,
qui sont aussi des penseurs
et jamais tout à fait présents,
l'oeil tourné vers les antiquités lumineuses,
et si peu enclins à vendre quoi que ce soit !
Paris, cher Paris,
cité des rêveurs et des penseurs,
cité des cordonniers-poètes
et des concierges cartésiens
qui vous récitent du Péguy quand vous entrez
dans leur loge.
Je suis heureux d'être revenu
dans tes quartiers familiers
et sur tes quais
près desquels coule la Seine aux eaux noires
et éternellement incomprises par l'homme
qui passe sur le pont
et se dirige vers le Palais de Justice .
quelle justice,
sinon celle de Dieu...
Lettre d’Yvan Goll , inédit St.D.d.V.
La Chanson des Ponts
De la rive
droite à la rive gauche
De la main
droite à la main gauche
De l'Europe
droite à l'Europe gauche
Nous passons
sous les ponts
Nous passons
de saison en saison
Gagnant du
temps
Perdant la
face
De la rive
gauche à la rive pauvre
Entre l'eau
et le ciel
La tête aux
anges et le cœur à l'enfer
L'oiseau
fore la terre et la taupe s'élance
Nous passons
de saison en saison
Gagnant de
l'or
Perdant la
terre
De la rive
verte à la rive noire
De la
bouteille rouge au verre vide
De l'amour à
l'oubli
L'arbre
s'échante l'oiseau s'effeuille
Nous passons
de saison en saison
Gagnant la
vie
Perdant la
mort
JEAN DE
SAINT-DIÉ
L'arbre et l'oiseau
J'étais
l'arbre velu
A
la barbe de mousse et de chenilles
Au
coeur de bois
A
la peau d'éléphant
Que
nul crime nul orage ne plie
Mais
avec mille bras braver les vents les
dieux
Avec
des pieds crochus griffer la terre sourde
Noir
et seul et grand !
Lorsque
tu vins
Danseuse
Sur
la corde de mon coeur
Sur
une branche sans espoir
Rose-gorge
Et
réveillas les aubes tristes
Mes paupières battant
soudain
Comme de jeunes feuilles
Et devant toi, oiseau,
ombre d'oiseau
Mon tronc que nul orage
ne pliait
Trembla.
Ivan Goll ( Partisans, n°4 - juillet
1924, p.4 - 19 vers)
Le chant des Cyclopes
Redeviens
Cyclope
Frère au
front poli
Rebâtis
d'Europe
Le rêve
aboli
Tandis que la Seine
Pousse aux océans
Son eau vieille et vaine
Cherchant le néant
Noirs
jusqu'aux racines
Les arbres
déments
Boivent la
benzine
En guise de
vent
Haleine
d'oxydes
Baisers de
lysol
Hâtent le
suicide
De ce grave
sol
Or il faut que
lèvent
D'un nouveu
purin
Les magiques
sèves
De ces
souterrains
Il faut des
miracles
Des sangs
mélangés
Des phares
qui raclent
Des hôtels
âgés
Tandis que la Seine
Pousse aux océans
Son eau vieille et vaine
Cherchant le néant
Délivré du
doute
Peuple mal
aimé
Marche sur
la route
De l'esprit
armé
Toi sous les
médailles
D'astres
redorés
Suis les
funérailles
D'un siècle
abhorré
Verse les
pétroles
D'or sur la
cité
Et les
auréoles
D'électricité
Sur cent
mille tonnes
D'horrible
béton
Monte la
colonne
Que nous
habitons
Tant de
mètres cubes
De mortel
plâtras
Font qu'un
jour Hécube
Ressusciteras
Tandis que la Seine
Pousse aux océans
Son eau vieille et vaine
Cherchant le néant
Au ballet
des sphères
De furieux
kobolds
Fécondent la
terre
De millions de
volts
Des dômes de
cuivre
Couvant
l'œuf du feu
Suent un
ardent givre
Et des
blizzards bleus
Autour de
nos têtes
Chacune un
soleil
Tourne des
planètes
L'antique
appareil
Tandis que la Seine
Pousse aux océans
Son eau vieille et vaine
Cherchant le néant
Mais l'homme
de verre
Plus
astucieux
Que la chair
espère
Renverser
les cieux
Voici
l'Homme ! Admire
Au cirque du
sang
L'éternel
délire
Des temps
renaissants
Voici la
machine
De la vérité
La rate et
l'échine
Des Dieux
hérités
Voici l'os
où loge
L'ultime
ressort
Et voici
l'horloge
Qui compte
la mort
Tandis que la Seine
Pousse aux océans
Son eau vieille et vaine
Cherchant le néant
Au secours !
Génies !
A ce temps
bâtard !
Des
cosmogonies !
Et des
liqueurs d'art !
Plus haut
les cothurnes !
Marbres :
plus humains !
Que le bon
Saturne
Trace nos
chemins !
Danseur, je
t'écoute !
Ton pas fait
chanter
L'élastique
croûte
De ce sol
hanté
Et de
vingt-cinq langues
Le choral
ailé
Réveille
l'exsangue
Globe
écartelé
J'allume les
astres
J'allume la
Tour
Dressant le
cadastre
Du total
amour
Tandis que la Seine
Pousse aux océans
Son eau vieille et vaine
Cherchant le néant
non daté, inédit S.D.d.V.
Le Pêcheur au bord de la Seine ( Mystère)
Des enfants chantent
Pêcheur au
bord de la Seine
Pêcheur au
bord de ta peine
Que
pêches-tu ?
Pêcheur
Je pêche la
vague qui se dépêche
Je pêche
l'oiseau perdu dans les algues
Les enfants
Pêcheur au
bord de la Seine
Que
pêches-tu ?
Le poisson
de feu ou l'étoile de pierre ?
Pêcheur
Entre l'eau
et la terre je balance
La tête en
bas dans la ténèbre
Les pieds en
haut dans le nuage
Entre deux
vérités je pêche dans le vide
Mendiant
Donne-moi
une petite carpe d'or, j'ai faim
Pêcheur
Mon frère
aveugle, ne sais-tu pas que je pêche sans appât
je ne pêche
que le mystère entre l'eau et la terre
Mendiant
Eh bien,
donne-moi un bout de mystère, j'ai faim
Pêcheur
Hélas, mon
frère, je pêche pour ne rien attraper
Je pêche la
vague et non la carpe
Je pêche le
désir, non l'accomplissement
Car la carpe
qu'on attrape est une carpe qui meurt
Et le
mystère qu'on attrape est un mystère mort
Urien
Tu es donc
un homme sans cœur
Tu ne penses
pas à tes frères qui ont faim
Pêcheur
Je suis un
homme sans cœur
Je ne pêche
pas les poissons. Je ne produis pas.
Mais je
pêche mon cœur qui roule dans les vagues
Mon cœur qui
s'est échappé et que je ne connais pas
Oui, mes
enfants, voilà ce que je pêche.
Les enfants
Pêcheur au
bord de la Seine
Que
pêches-tu ?
Que fais-tu
de ton cœur que tu ramènes ?
Pêcheur
Je ne veux
pas l'attraper
Je ne veux
pas venir au bout de mes désirs
Qu'est-ce
que la sagesse ?
Demander à
la vague où elle roule ?
Ou apprendre
à la vague où elle roule ?
La sagesse
est-elle la question ou la réponse ?
Le fleuve
est la sagesse même
Et
maintenant je sais ce que je pêche sans appât :
Je pêche la
vague elle-même
La vague
féminine, soyeuse, voluptueuse
Ma propre
sœur dans le temps
L'ivresse
entre le passé et le futur
Mendiant
Tu vois, tu
ne sais pas toi-même, ce que tu pêches
Tu ne sais
que faire de ton cœur et de tes yeux
Ah si
j'avais tes yeux et ton jeune système cardiaque
J'en
attraperais des truites, des saumons, des esturgeons
Je
nourrirais toute l'humanité affamée
Pêcheur
L'humanité a
beaucoup de pêcheurs et de marchés aux poissons
Et de
perches et de brochets et de rascasses et d'ombres chevaliers
Mais depuis
dix mille ans
Quel homme a
jamais attrapé la vague ?
Un Marinier (passe sur son bateau)
A la dérive
Entre les
rives rivales
La rive du
désir et celle de l'oubli
Ma vague
divague
Ma vie
descend
Le fleuve
incandescent
Mendiant
J'entends la
vie qui passe sur un bateau fleuri
J'entends
une autre sagesse descendre le fleuve
Et qui ne
reste pas captif de sa rive
Car il est
vrai, tout a deux rives et deux vérités
Le Marinier
Je suis
l'homme aux deux yeux qu'Urien réclame
Je suis l'homme
aux deux bras, aux deux avirons
Je vire à
droite pour tourner à gauche
Ma rive
droite lave ma main gauche
L'aube de
bâbord présage la nuit de tribord
Je bois aux
deux seins de Léda l'innocence et l'expérience
Pêcheur
Passe,
marinier, passe
La vague t'a
précédé, la vague te suit
Derrière toi
ne reste qu'une cicatrice
Marinier
Pêcheur, moi
je te vois du milieu du fleuve
Je te vois
mieux que tu ne te voies
Je te vois
double et ivre
Debout sur
ta tête et pendu par les jambes
Tu
t'opposes, toi et ton image
Lequel de
vous réel et irréel ?
Ton ombre se
visse vers les ténèbres vertes
Et ton corps
troue la pureté du ciel
Quel est ton
Toi ? Quel ton Non Toi ?
Tu te
dédoubles et te supprimes
Ta statue
d'eau est ton éternité
Peux-tu te
voir ?
Et tu ne
verras jamais le mystère
Les enfants
Marinier de
la Seine
Où rames-tu
?
Où te
conduit cette carène ?
Marinier
Au fil de
l'eau
De l'au-delà
Mon beau
bateau
S'en vient
et s'en va
Pêcheur
Passe,
marinier, passe
Tu décoiffes
ma vague, tu déchires ses voiles
Méchant
vivant, c'est toi qui tues le rêve
Urien
Et le
marinier passe et le pêcheur pêche
Et moi qui
suis aveugle
Je vois plus
bas que les algues où dorment les oiseaux
Je vois plus
loin que la rive opposée et négative
Je vois le
bouquet de feu que cueille la douce petite fille
Les fleurs
de feu qui nous dévoreront
Les fauves
de feu qui nous embrasseront
Je vois la
gueule qui avalera le fleuve
Et
l'incendie qui construira de nouvelles nefs gothiques
Je connais
la question et la réponse
Et la
sagesse qui ne daigne ni questionner ni répondre
Je vois l'Un
et son Double qui ne font qu'UN
Reculer vers
le commencement
Qui est la
fin
Mystère, 1936, inédit
S.D.d.V.
Les Bucoliques de Paris
Les Vierges
de Marly pour
s'exercer à être mères portent des gerbes de lilas
En descendant
vers Paris qui bivouaque
Sur pilotis
de la Concorde dans les marais de la pluie
Mais il ne
leur faut qu'un brin de cerfeuil
Pour diadème
et dans l'herbier sauvage
L'amoureux
reconnaît leur fin pouvoir
Un lâcher de
corbeaux mauves s'échappe des cloches
Dans toutes
directions et déchausse déjà les pierres
Pour la
future insurrection
Puis nous
n'attendrons plus quelque juillet caduc
Pour
enraciner dans le ciel les arbres du déluge
Dans les
charniers de Saint-Paul
Le lancement
de coeurs corrosifs
Le
peuple réclame les bijoux de l'héritage
Il
porte ses malades sur les ponts où les décorera
La
Rose d'honneur
Dans la nuit
clandestine
Les
Géorgiques nationales sont imprimées
Sur les
matrices de la Seine en feu
grosses variantes dans cet
inédit de Saint-Dié avec GEORGIQUE NATIONALE (Les Géorgiques Parisiennes
p.25)
Les Ivres
O Prodigues !
Partis des soirées lointaines -
Dans la corbeille de votre coeur
Vous portez tous les talismans du monde,
Dansez mes frères
Devant la ville où les hommes se battent !
Longez la mort et abordez le meurtre ;
Anges des asiles de nuit et des salles d'attentes,
Demain des ailes dorées
Croîtront à vos pantalons sales
Et qui au monde
Sanglotera d'une âme plus profonde
Qui donc embrassera la terre
Aussi farouchement que vous.
Les Ivres (La Vie
Nouvelle n°2 - Janvier 1921- Le Caire p.28 )
Lune rousse
Ton
amour brûle comme du poivre rouge
Je
mange les pistaches de tes yeux
Femme
d'été
Il
faut nous dépêcher de capter toute la vie
Demain
il fera froid
La
boussole de mon coeur s'agite
Vers
le Nord, vers la Mort
Les
pivoines ne durent qu'un midi
Tu
es mon champ de blé aux taches de rousseur
Tous
tes épis attendent
La
foudre.
Montparnasse, n°31- 1er mars 1924. (11 vers),
Manège
Pauvre musique de faubourg,
Qui t’arraches la valse d’entailles déchirées,
Si fatiguée que tu radotes sous la pluie
Ton histoire vieille comme le monde.
Pourtant tu fais tourner les enfants sales
Sur des aéroplanes de bonheur
Et dans des carrosses dorés de soir!
Mais la rue alentour
S’est mise à pleurer :
Les femmes de cire du coiffeur fondent,
Les belles du photographe jaunissent sous la pluie,
Et la tristesse
S’assied dans un coin du café
Et n’en bougera plus jamais.
Cette même tristesse qui comme une putain
A décidé de s’asseoir dans mon cœur
Et d’y mourir.
Demain n°2 - Eté 1930 - " Manège " d'Ivan Goll p.3
Manifeste Zénitiste
Chaque
matin, à cinq heures, partout, sur tous les cinq Continents, le même Journal
élève sa tête gris-de-nuit et crie les mensonges noircis du monde :
CONFERENCE
DE LA PAIX - UN MEURTRE DANS UNE CREMERIE - SUICIDE DANS LE CŒUR D’UNE ADULTERE
- ACHETEZ LES LAMES GILLETTE - BERGSON A CHICAGO - VOTEZ POUR NERON !
ALLOOO ! !
O chers
Européens aux fronts bas, femmes aux corsets trop étroits, enfants qui jouez au
Cheval de Troie : ennemis, ennemis entre vous, frères ennemis : vous tous qu'on
appelle les élus de la création, qui portez des couronnes de papier sur une
tête coiffée à l'américaine :
O
socialistes, o royalistes, prolétaires en guenille dans les mines , banquiers souriants de Londres.
Oh
!
Non, ce
n'est pas vrai, nous ne vous aimons pas ! Non, mes frères aux crânes de poire,
professeurs abêtis, fonctionnaires alcoolisés, médecins de la peau et de l'âme
: non !
Nous vous haïssons, haïssons, haïssons !
Mais nous
voulons arracher les masques de ce carnaval capitaliste de vos visages, nous
allons vous dépouiller de vos habits cyniques et de vos feuilles de lierre,
nous allons inonder de blasphèmes votre cerveau séché comme une vieille éponge
et votre cœur endurci comme un petit pain d'avant-hier
ALORS
vous tous, animaux-nés, criminels-nés,
militaristes-nés ! O nations grandies
par les chants de guerre d'Homère à Marinetti, o civilisations statuées par les
Bibles, les Grammaires et les Codes Pénaux : peuples ! par dessus vos casernes
et vos palais de justice, qui portent la devise humoristique : LIBERTE,
EGALITE, FRATERNITE en lettres d'or : par dessus vos murailles chinoises et vos
morales turques
Nous vous montrerons
le
ZENITH
Nous ferons éclater
le
SOLEIL
des
cataractes de vérité, des millions de volts de lumière céleste
Nous vous offrons
LA MACHINE A PENSER
DE TOUTE
PREMIERE QUALITE DIPLOMEE
LE SOLEIL LIQUIDE
dans des
boîtes de lait condensé :
LA VERITE.
Non, non,
NON : nous ne venons pas vous embrasser: mes frères : o cyniques, imbéciles,
politiciens, académiciens et syphilitiques : o sentiments nationaux !
Il n'y a pas d'arbres généalogiques
Il n'y a plus de tradition
Il n'y a plus de nations
MAIS DES HOMMES
On n'est plus Français, Serbe, Nègre,
Allemand ou Luxembourgeois
EUROPEENS !
Voici le trust de la Vérité
ZENITH
Nous allons laver vos cerveaux et vos
coeurs avec du radium, de l'ozone et de l'hydrogène, nous vous apprendrons,
hommes de toutes les races, à marcher nu-tête : sans casque ni haut-de-forme,
ni feutre, sans avoir peur de la Vérité, droit dans le SOLEIL !
Ivan
Goll
Manifeste
zénitiste ( Lumière n° 11 - 30 juin 1921, Anvers - Belgique)
Nocturne
La lune, à travers le rideau,
Verse sa lumière dorée,
Et l'on entend le crescendo
Des tristes rythmes de Borée.
Sur la fenêtre, un chat câlin
Rêve, zébré de noir et jaune,
Son œil dans l'orbite opalin
S'irise comme un œil de faune.
Il est profond comme un miroir,
Qu'un beau profil d'enfant caresse,
Et semble chercher dans le noir
Les immensités de tristesse.
Cet œil, c'est l'âme de la nuit,
Qui cherche tout sans rien comprendre:
Il veut saisir tout ce qui luit,
Et, saisi, ce n'est plus que cendre.
Ivan
Lazang (de Metz)
Le Pays Lorrain et le
Pays Messin,
Septième année - 1910 Revue mensuelle illustrée (64 p.) Littérature, Beaux-Arts, Histoire, Traditions populaires) Ivan
Lazang (de Metz)* Nocturne (16 vers) p.301
Nancy - 29 rue des Carmes
Ode à Rome
Mordons dans la pêche de Rome
Ce fruit fauve et juteux.
Buvons à toutes ses fontaines
Et courons à tous ses mystères
De colline en colline.
Amis, dressons nos corps
Nouvelles colonnes doriques,
Vers la lune rose
Remplaçant celles qui se sont rompues
Dans les jardins de Galatée.
La vie demeure souveraine
Dans cette terre cent fois morte.
Les tombeaux d'empereurs
Ne sont que des berceau de mousse
Pour le peuple très amoureux.
Dans les débris des temples
Naissent les roses,
Dans la poussière brune
Minerve et Marie
S'épousent
doucement.
La pierre a souffert plus que l'homme
Mais, dans l'épaule mutilée d'un pape,
Un jeune lézard
A fait son nid
Et effraie déjà les chardons.
Et nous, les amis fugitifs,
Couronnés du jasmin de juin
Ivres des roux octobres,
Nous vaincrons l'heure ténébreuse
Qui glace les espoirs.
Sous le sabot de bronze
Des rêves héroïques
Explose la lumière du matin
Et les clochers des sept collines
Ne réveillent que les morts.
Les Nouvelles littéraires -n° 645, 23 Février 1935, page 2 (
inédit )
Paris , Etoile des Poètes
( 1922)
A
recopier
traduction
française de Claire Goll inédite -Saint-Dié des Vosges : Ms 553c -
Pêche de juillet
Pêche
de juillet : mon aînée
Quarante
aubes seulement te séparent du soir d'avril
Où
l'hélice rose de ta fleur trembla sous mon haleine
Quarante
midis traversés de vols de cigognes
Quarante
soirs exerçant la gamme des rouges
Quarante
nuits où la nounou te nourrit du lait de lune
Et
te voici mûre :
Sphère
de connaissance et de souffrance !
Solidement
vissée à la loi de l'univers
Par
les écrous et les noeuds de la branche
Respirant
sous la tente des feuilles en forme de mains
Et
travaillant nuit et jour
Dans
l'atelier des astres, dont les courroies invisibles
Fournissent
le courant cosmique
En
quarante jours, tu t'es parfaite !
(Et
moi, en quarante ans, qu'ai-je parfait ?
Ni
la sphère d'une pensée complète
Ni
l'assurance d'un coeur inébranlable)
Ton
noyau, centre du monde,
Plus
solide qu'une forteresse, qu'un tribunal, qu'un amour
Taillé
comme un diamant, sillonné comme un océan
Et
muni du dard
Qui
percera le roc
Dans
sa descente en terre et en éternité
Tu
l'as cimenté, maçonné, ciselé sous mes yeux
Dans
mon jardin, à mon arbre,
Que
j'ai payé comptant en drachmes, en roubles, en marks,
en
francs, en livres, en dollars
Sur
la colline des érables, dans la vallée des saules, près du pré des fouines
Dans
la vigne d'or, dans le potager bleu,
Pêcher
! Mon pêcher !
J'ai
secoué des tonnes de tes planètes-fruits
Qui
n'avaient qu'une raison d'être
Tomber
à la terre vétuste
Et
pourrir
Car
ils étaient fait de chair
De
chair qui tremblait au passage des noctuelles
Comme
aux rayons de l'Orion
Chair
de velours beige ou de peluche verdâtre
Chair
jaune ocre orange grenade parme malte mecque
Chair
de vierge et de vieille putain
Mes
pêches ont roulé de tous les vergers
Elles
ont illuminé les terrasses des reines d'Orient
Au
pied de l'Olympe elles ont perpétué les seins d'Aphrodite
Elles
ont été cueillies vertes et maigres
De
fillettes dalmates trop tôt vendues par leur mère
Et
les pêches roumaines sucrées aux sang juif
Les
crétoises minées de TNT
Les
pêches d'espalier de Crimée, crucifiées au mur des otages
Oh
celles de tous les vieux vergers sur l'Euphrate ou la Gironde
Transformés
en cimetières
O
pêche de chair ! Chair de pêché !
Brasier
d'amour
Incendie
de l'insulte
Hémorragie
du coeur du monde
Abcès
atroce qui suppure sous la rondeur pure :
Je
te mange
Et
crache ton noyau aux ordures
Les Cercles Magiques - inédit non
publié
Premier mai 1920 à Paris
Des autobus
d'argent montent dans le matin printanier
Aux
terrasses des Cafés l’absinthe est couleur - prairies
Un
mécanicien se fait raser
Muguet
muguet
Tu fleuris
sur le grand portail du Sacré-Coeur!
La pierre se
couvre de bourgeons
La Colonne
de la Place Vendôme
Tombe une
fois encore !
Un Brigadier
Un cheval
Ici ou là un
compagnon pâtissier
Venus du
peuple des quartiers
Plus près
Des drapeaux
brûlent
Un aéroplane
au-dessus de Paris
Danse le
Cake - Walk .
De la Tour
Eiffel jaillissent des radiogrammes de Moscou
Mai !
premier mai!
Tous ! Tous
prolétaires !
Des
cheminots en grève sont assis dans les bois
Tous les
prés du printemps chantent la Marseillaise
Et
l'Orient-Express ne roule pas
La corne
d'abondance du soleil est au-dessus du boulevard
Les chants
sont au rouge
Un Saint
Sébastien monte sur un tram et parle
Soldats
soldats
Un coup de
feu
Un rictus
Sort des
dents des mourants
Dans le
jardin des Tuileries le tonnerre du peuple se fait entendre !
Ivan Goll : Erster Mai
in Paris 1920 (Traduction de Jean Bertho)
Zenit I - n° 4 - mai
1921. Revue internationale yougoslave :
Qu'était-ce donc la vie ?
Mes
chansons tombent de ma bouche
Comme
des cailloux de sang rouge
Suis-je
donc si malade ?
La
plus douce tristesse
Est
lourde à mes épaules
Comme
un fichu de neige.
Le
soleil est trop chaud,
Et
la lune est trop froide,
O
mon âme a la fièvre.
Qu'était-ce
donc la vie ?
Je
ne l'ai pas sentie.
Mais
je la touche au moment de mourir.
Sang Nouveau (5 ème année- XXIV
N°2 Janvier-Février 1932 p.31)
Rame
Squelettes
debout
Dans
la fosse commune roulante
Condamnés
à la peine de vie
Qu'attendez-vous,
agrippés l'un à l'autre
Sans
même le rire des morts
Peint
sur vos lèvres ?
Le
temps ronge vos tempes
La
peur use vos yeux
Et
vous ne rêvez plus jamais d'une colline
Couronnée
d'oliviers
Ou
d'une plage fleurie d'ibis roses ?
( Soutes,
février 1936 p.93 )
Roche Sorcière (inédit)
Roche Sorcière
Vierge enchaînée à la patience
essentielle
Sphinx aux treize seins
Courbe à faire dériver le temps
Génie femelle : Ouvre-toi !
Ouvre tes éventails de patelle
Ouvre tes prisons de magnésie tes
cages d'oiseaux
Et l'œil si doux de la sardoine
Ouvre les veines des marbres
Roche ! Déshabille-toi !
Ouvre ton sanctum de gypse
Et fais couler sur nos mains le sang
blanc de tes magies
O roche à la voix d'uranium jaune
Chair si longtemps morte de patience
Que prépares-tu dans l'ocre octobral
Dans la novembrite d'aiguemarines ?
Tous les éclairs qui t'ont pénétrée
T'ont rendu enceinte géante
accoucheuse
Veines et aortes de calcites éclatent
Le fiel des émeraudes coule
Les craies et les gypses ankylosent
la mer
C'est l'annonce d'une nouvelle genèse
La vraie lumière exulte
Roche Percée
Dans ton cœur d'atome
Roche Sorcière (inédit)
Roche Sorcière
De Delphes du Harz ou de Gaspée
Ouvre-toi
Derrière tes éventails de patelles
Ouvre l'œil si doux de la sardoine
Ouvre tes prisons de magnésie tes
cages de schorre
Ouvre les poitrines des marbres
Chair de chaux vive
Montagne aux treize seins
Courbe à faire dériver le Temps
Génie femelle : Ouvre-toi !
Roche déshabille-toi
Jusqu'en tes zincs jusqu'en tes
naphtes
Et laisse couler sur nos mains
Le sang blanc de tes magies
R Roche Miroir (inédit)
Ro Roche Miroir
Av Aveugle de te regarder dans les mille glaces du prisme
O Folle échevelée
D Dans ton château aux portes de granit
Roche Miroir
Qui me regarde de mille yeux sans me
voir
Roche qui ne m'ouvre aucune de ses
mille portes
Je voudrais effacer ton regard
glacial
Effacer les lacs de la terre
Et les soleils de la face du ciel
Roche Miroir
La gorge transparente et traversée
des lames du prisme
O toi qui m'aveugles avec ces miroirs
ardents
Et me tend ces glaces sans me laisser
voir ma face
Dans ton château aux issues
condamnées
Aux fenêtres qui s'éteignent au
moindre espoir
Je te vois Folle chaque nuit
descendre l'escalier du schiste
Sans atteindre l'exit des âges
Dans ta prison dodécaèdre
La lumière militante
Réussira-t-elle un jour à mourir ? Trois poèmes non publiés dans Le
Mythe de la Roche Perçée
Rosa Luxembourg
Il fallait que ce fût sa plus belle Amante
Que ce fût son étoile la plus bleue
Depuis cinq ans, le Peuple l'attendait.
Un jour : Elle vint, parée d'or et de jais
Une voyante qui sort du trou des Bibles et des Ghettos :
C'était la Fiancée du Pauvre et des Humbles !
Des loups léchaient le sang de ses pas,
Elle n'avait rien sur les épaules, Rien sur sa main que son
Cœur qui tremblait :
Etoile.
Alors le Peuple n'y tint plus,
Devant celle qui venait à lui depuis des siècles.
Les aveugles ne pouvaient soutenir son regard,
Et les sourds avaient peur de sa voix !
Tous ils se ruèrent sur leur Reine .
Pour la tuer,
Pour s'immoler en elle .
Clarté n° 9 - 24 janvier 1920. page 1,
traduction d'Ivan Goll
Rue de la
Mort
Sous ta poitrine de
ciment,
Sous tes paupières de
fer,
Ville narcotisée,
J'entends ton sang qui
bat .
J'entends tes femmes
qui chantent,
Sources chaudes
souterraines ;
Tes escaliers qui
pleurent
Et tes morts aux lèvres
plombées .
Il y a les hommes qui
se réveillent
Au milieu de la nuit,
Soudain ils comprennent
Qu'ils ont oublié de
vivre .
Des rues désespérées
Courent en vain après
le ciel
Et tremblent
De tous leurs
réverbères .
Est-ce toi, solitude ?
Qui grelottes sur la
Place
Dans ton manteau de
vent,
Prostituée qu'aime un
poète ?
Un autobus malade
Transporte les soucis
des gens
De l'aube au soir et
retour
Sans jamais calmer son
angoisse .
Quelquefois une porte
Restée ouverte
Comme la bouche d'une
morte ...
Je suis son
dernier confident .
Le Journal des Poètes 1ère année, n° 2 - 11 avril 1931
Si j'avais
la douceur de la pistache verte
Que tes
dents aiment broyer
Si j'avais
la chair molle et sucrée de l'orange
Que tes
doigts déchirent sans hâte
Si j'avais
l'odeur fine du jasmin
Qui
t'attirent devant les murs des inconnues
Serais-tu
plus fidèle ?
(Trois Chansons Malaises Orchestre p.55 (Le Divan 1937)
Strophes sur la Grande Misère de
France
Quand sur la
ligne Maginaire
Les rêveurs
ivres de tambours
Cultivaient
la rose trémière
Du Munster
rose de Strasbourg
Derrière tes
beaux rideaux d'orge
Où
l'alouette aiguisait l'air
N'entendis-tu
jamais les forges
De haine où
travaillait Fafner ?
France:
perverse paysanne
Séduite au
coin du Bois Dormant
Le fils de
tes amours rhénanes
Vient
accomplir ton châtiment
Ils sont
partis de Barbarie
Derrière
Metz près de Châlons
Jusqu'à
Paris toute marrie
Qui cavala
vers Cavaillon
Ils sont
descendus vers les sources
Du sel et de
la liberté
Détournant
de leur sage course
Les fleuves
de l'antiquité
Ecrasant le
sein de la Seine
L'aine de
l'Ain
L'aile de la
Moselle
Le rein du
Rhin
Tes eaux
sombres tes eaux lucides
Les vins les
cidres les liqueurs
Toutes tes
sources se suicident
Et se
retirent de ton cœur
Dans le sang
boueux de l'aurore
Dans la
pluie du petit matin
Tes
colchiques se décolorent
Et l'or de
ton casque s'éteint
Terre tu
n'es plus que de glèbe
Où l'on
découpe les tombeaux
Les
avant-postes de l'Erèbe
Et des
délires hivernaux
La nuit la
source de la lune
Mélange un
nouveau vitriol
L'aube fera
moisir les prunes
Et tourner
le lait dans les bols
Jeanne,
Jeanne te voici
Bergère de
Domrémy
La France a
besoin de toi
N'as-tu pas
perçu les voix ?
Toi qui
depuis si longtemps
Habites le
firmament
Pucelle au
cœur de diamant
Ton bûcher
couvert de poix
A-t-il brûlé
ta mémoire ?
Laisse-t-il
monter la voix :
La France a
besoin de toi
Jeanne,
Jeanne, écoute mon cri :
Bergère de
Domrémy
La France a
besoin de toi
N'as-tu pas
perçu les voix ?
New York ,
14.6.1940 inédit S.D.d.V.
Sur un dessin de Henri Michaux
Buisson
ardent
Buisson d'aubes et d'aubépines
et d'épines
Buisson
de feu dont les dents
mordent et dont les ongles
lacèrent
l'imposture de Dieu
Buisson d'églantines fédérées et
de roses non encore baptisées
Buisson incendiaire des nuits trop
mortes pour qu'aucun sommeil
ne les nourrît
Buisson de poésie : j'y trempe et
j'y brûle mes mains
Ivan Goll
7 juillet 1939
reproduit avec l'autorisation de
Jean Bertho
Tryptique Vénitien
I
Venise en forme de Poisson
Poisson
sacré frit à l'huile
Chaque
écaille un palais d'or
Partout de
l'échine sort
L'arête d'un
campanile
L'eau
fertile de Venise
Fait mûrir
dans une moisson
De maïs à la
cuisson
Du soleil
qui la balise
Noces de
l'eau et du jade
Gîte du lion
ailé
Rugissant
aux colonnades
Où
Saint-Marc s'est installé
Dans ce
miroir qui frétille
Le poisson
de Dieu scintille
Venise 15 septembre 1949 Inédit Saint-Dié des Vosges
II
Venise entre deux Marées
Bas dans la
forêt engloutie
Supportant
la cité titienne
Une mésange
dalmatienne
Reprend sa
chanson amortie
Et l'aile
d'une écume ancienne
D'ange dans
le marbre sertie
Que nul
oubli n'a divertie
Et nul
soupir de Vénitienne
Se prépare à
reprendre l'air
Quand par
l'insatiable marée
Tantôt les
aura séparées
Que
l'artiste du secundoce
Unit pour
une étrange noce
La pensée et
l'insane mer
Venise 23 septembre 1949 Inédit Saint-Dié des Vosges
III
Venise reprise par les Eaux
Les chevaux
trahis de Bysance
Traînent
Saint-Marc vers son passé
Où retourne
l'homme lassé
De superbe
magnificence
Le lion
pleure d'impuissance
Et les
géants du Tintoret
Renient ce
siècle timoré
Le canal est
devenu rance
De vague en
vague De palier
En palier le
palais dévide
Son
architecture liquide
Le Doge
descend l'escalier
Et le
portique de son cœur
Se ferme au
tardif voyageur
Venise 27 septembre 1949Inédit Saint-Dié des Vosges
Tu passes sur ma terre
Je salue l'allégresse de tes pieds
Tu fais pousser mes plantes rouges
Tu fais rire mes doux ruisseaux
Les blés lèvent à ton passage
Les arbres s'agenouillent
Et j'étale mon corps jusqu'aux bords de mon Ile
Où que tu te diriges
Tu marcheras sur moi.
( p.55 dans Orchestre
, Paris , Le Divan 1937)
Vendanges
Mon
cœur c'est la saison de tes vendanges
Le
muscat bleu des collines le poumon rouge des poitrines
Se
marient dans les cuves de l'Etna et du Vésuve
Un
bon Barbera de barbare se mélange
Un
lourd Chianti de volcan embrume tes entrailles
Vieille
folle Demeter grapillant tes vignes
Ne
pleure plus ta fille : elle est chez les guerriers
Et
les tanks dorment dans tes temples encore inachevés
C'est
la saison où s'effondrent les villages comme des roses sèches
Et
l'artilleur de Wyoming moissonne les oliveraies
Les
têtes des héros éclatent comme des tomates
Les
tonneaux de sang roulent tout seuls sur la route Appienne
Le
vin de liberté est vite monté dans le corps exsangue
Le
long des artères calcinées de Calabre
Le
moût de septembre allume les laves humaines
Le
Lacrima Christi est fait de Sangue Hominis
Voir
Naples et mourir ! O glas des mandolines !
Voir
les chanteurs napolitains la gorge trouée de balles
Santa
Lucia meurt de soif au pied de la vigne
La
cendre des bibliothèques assombrit le Vésuve
Mais
les plus douces collines s'allument ! Les îles de perle
Deviennent
des bûchers de crépuscule
Ils
boivent du vin d'aorte dans les faubourgs de Corinthe
Et
du vin de sueur dans les cafés dalmates
Tandis
que la Corse flambe comme un oléandre en fleurs
Tandis
que la Crête allume les sangs de Minotaure
Partout
la cigale noire
Danse
et chante
Partout
la pierre dure et la poussière scintille
Les
dieux n'ont pas quitté les péristyles de Paestum
La
trace des Jeeps a pourri dans le sable
Un
tombeau de fenouil brûle à la mémoire des morts
Et
le berger revient après les vendangeurs
La
vague des moutons déferle sous les chèvrefeuilles
Sur
les pente arides de Patmos
Mûrit
l'olivier
1948 Inédit Saint-Dié des Vosges