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Poèmes Yvan Goll

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8 août 2010

Poèmes inédits

Poèmes inédits par ordre alphabétique

ARS POETICA 1945

Au poète désemparé qui patauge dans la neige fondue des songes

Au poète trop épris de lui qui manie le revolver et la fronde

Rendons le Verbe pour le Verbe

A la fois matière et Pensée

A la fois granit et temple

 

Il n'y a plus de châteaux dans les déserts de la réalité .

Mais il y a des laboratoires dans les grottes de l'étoile

Et par les rayons de radar nous revient la magie de l'écho

Extase et science

Vieux attributs de la Kabbala

 

Dieu science nature : c'était la Trinité du 13e siècle

Dieu qui n'exista pas encore mais qui résultera

De l'alliance de l'atome et de Saturne

Dans la grande explosion de l'âme universelle

 

Voici poète le château où tu résideras

Comme au cœur d'un diamant aux 72 facettes lumineuses

Château magique Diamant dialectique

Que Raziel édifia et tailla

Inédit Saint-Dié des Vosges

Chanson du Pont-Marie.  Deuxième version

Sous le Pont Marie

Depuis dix mille ans

La Seine charrie

La mort et la vie

Vers les océans

 

Mais sur le Pont

Les hommes vont

Plus lourdement

Plus lentement

Ils portent des sacs de charbon

De la rive gauche à la rive droite

Et rapportent la nuit au front

De la rive riche à la rive étroite

 

Sous le Pont Marie

Depuis dix mille ans

La Seine charrie

La mort et la vie

Vers les océans

 

Mais sur le Pont

Les hommes vont

Hâtivement

Obstinément

Ils portent des chardonnerets

De la rive gaie à la rive adulte

Et ne rapportent que regrets

De la rive fourbe à la rive occulte

 

Sous le Pont Marie

Depuis dix mille ans

La Seine charrie

La mort et la vie

Vers les océans

 

Mais sur le Pont

Les hommes vont

Allègrement

Confidemment

Ils portent des fleurs plein les bras

De la rive noire à la rive impure

Et ne rapportent qu'un cœur las

De la rive injuste à la rive obscure

 

Sous le Pont Marie

Depuis dix mille ans

La Seine charrie

La mort et la vie

Vers les océans

 

Chant du soldat de France 1940

Quand sur la ligne Maginaire

La lune jaune m'inondait

Je rêvais qu'on faisait la guerre

Mais la mort me fichait la paix

 

Ainsi font font font

Les petites baïonnettes

Font trois coups

Et puis s'en vont

 

Ils sont venus de Barbarie

Derrière Metz près de Châlons

Jusqu'à Paris toute marrie

Et j'ai marché à reculons

 

Ainsi font font font

Les petites mitraillettes

Font cent coups

Et puis s'en vont

 

Pourquoi n'ai-je cueilli la rose

Avec l'épine de Strasbourg ?

L'escalier de l'apothéose

M'a fait descendre de la Tour

 

Madame à sa tour monte

Mironton mironton mirontaire

Mais Malbrough pour sa honte

N'était pas mort en guerre

 

Cerises de Montmorency

Muguet de Chantilly

L'année dernière pour Lucy

L'année prochaine pour Lilly

 

Il pleut bergère

Il neige aussi

Ni vin ni bière

Ne tombe ici

 

J'ai bu les Nuits j'ai bu les Graves

J'ai bu les vins du désespoir

J'ai dit que sur ma tombe on grave

« Attendez moi jusqu'au Grand Soir »

 

Quand Jean Renaud

De la guerre revint

Il avait beaucoup d'eau

Mis dans son vin

Chant du soldat de France. 1940  (Inédit) IV/70

 

Coeur sur glace

Navires sibériens sur les icebergs de nuit

Vous avez des oiseaux à bord

Les oiseaux noirs d'une fiancée inconnue

Celle qui a un cœur sous le sein transparent de neige

 

Mais dans ma maison de ciment armé

Ma barbe pousse comme aux morts

Mes yeux creusés pour mieux la recueillir

La femme sous mon crâne

L'oiseau de proie qui mange ma cervelle .

( Images de Paris - n° 40, Avril 1923. 9 vers )

 

Crucifixion

L'automne a des mains jaunies

L'automne a des souliers rouges pour monter vers la croix

Et n'a pas un ami dans sa forêt d'ossements

 

On entend le tam-tam des pommes qui tombent

On entend le tambour des noix qui tombent

Pour la danse des morts

 

Seule une ultime poire de la méditation

Pend encore dans l'espace, amante,

Et brûle le phosphore de nos anges doubles.

 

 Yvan Goll : L'VII, n° 31- Bruxelles 1967 ( inédit, 9 vers,p. 57)

 

Elégie de la solitude

 

    I

 

Oh comme toute chose est seule

 

Et l'on se demande si l'amour existe

 

Comme cette lune est belle trop belle

 

La pêche mordue par un nuage

 

Et qui va rouler de l'autre côté de la nuit

 

 

 

Oh comme tout est seul

 

Inexorable silence

 

Inexorable aussi ce grillon

 

As-tu vu le mélèze sur le précipice

 

Qui se cramponne d'un seul bras

 

Et pourtant fait flotter son pavillon vert pâle

 

Vers son amour d'étoile

 

As-tu vu le crapaud tout en or et en rose

 

Le roi enchanté

 

Le bon gros roi obèse

 

Qui ne s'étonne ni de sa pourpre ni de sa bave

 

Et qui est seul sous sa fougère incomprise

 

 

 

Nous nous mourrons au fond de la terre

 

Comme au fond de la mer

 

Marcheurs nageurs voleurs au ralenti

 

Nous dormons au ralenti

 

Et seuls nos rêves bandent parfois

 

Des trajectoires d'or des coulées de diamant des arcs-en-enfer

 

D'un brin d'algue à l'autre brin d'algue

 

 

 

Mais nous dormons surtout

 

Les yeux bandés les coeurs bandés

 

Nous marchons dans l'obscurité opaque du midi orange

 

Nos ombres tâtent les murs montent les ponts traversent les arbres

 

Nos ombres attrapent l'ange par un pan de chemise

 

Et lui demandent son identité

 

 

 

Les Cercles Magiques - inédit

 

 

 

  Forêt

 

   I

 

Une violette à mes pieds

 

Tomba soudain, étoile bleue :

 

Je la portai dans le soir d'or.

 

 

 

Avec nos yeux tous deux

 

Nous nous éclairâmes, nous consumant:

 

Nous aurions tant aimé, tous deux, crier et étreindre !

 

 

 

Mais notre langue était si faible !

 

Si indiciblement triste, l'amour !

 

Flétris, nous sommes morts séparés.

    II

Mais dans tes animaux profonds

Assombris dans leurs yeux humides, issue du même esprit,

Tu vins au devant de moi, forêt, égale par la naissance.

 

O, être ta créature,

Rien que l'argile de ta terre,

Le papillon, une goutte diaprée du soleil,

Et sentir dans les buissons proches

Le sang fort des renards efflanqués :

Etre abandon et fraternelle paix !

 

Au profond de tes bêtes je sus

Combien la terre était sacrée,

Et me donnai à toi

Et m'exhalai dans tes odeurs .

 

Yvan Goll : L'VII, n° 31- Bruxelles 1967 (inédit) p. 58

 

Gare de banlieue

Les trains de banlieue charrient la nuit

Comme une cargaison d'anthracite.

Ils pleurent sur leurs boggies

Mais cela ne leur sert à rien.

La pluie aussi pleure sur les hangars d'ennui.

Dans les champ désolés plus un corbeau.

Pourtant dans les salles d'attente

Les yeux brûlés par les phares d'espoir,

Aussi dociles que leurs choses

Que leur valise au hardes de bonheur

Les naufragés du jour attendent.

Qu'attendent-ils ?

De frêter un nuage ?

De grimper dans un cerisier en fleurs ?

Où simplement d'enterrer un cousin ?

 

Sang Nouveau (4 ème année- XVII-XVIII N°1 et 2 mars/avril 1930 p.13)

 

Hymne à la France de Claire Goll

O France ! Sol asphalté de rêves doux,

Villégiature de nombreux anges,

Je ne voudrais t'approcher qu'à genoux.

Toujours tu sens le printemps,

Pays, brodé de roses

Et de soupirs amoureux.

Tes bluets sont plus bleus,

Tes colombes plus blanches,

Tes bouches plus rouges qu'ailleurs.

Comment ne pas fondre à tes pieds,

Unique terre sous laquelle je voudrais dormir,

Où les oiseaux ne chantent qu'en français.

Tendre patrie des batailles de fleurs

Et des étoiles d'or de 80 carats,

O France, prends cet impôt sur mon cœur !

Sagesse Cahier 11- Printemps 1930 , Paris

 

Jean sans Terre nettoyé par le Vide

 

En pleine lune un bain de chlore

M’imbibe de son poison blanc

Je bois aux thermes de phosphore

Le sortilège du néant

 

Dormeur de la ville d'amiante

J'erre par les palais d’oubli

Les trous des portes terrifiantes

Guettent l’amant enseveli

 

Mes pas mous sont sans résonnance

Parmi le sel noir et amer

De la nuit veuf de souvenances

Je marche contre l’univers

 

Je trébuche aux fûts des colonnes

Qui supportent le toit du Temps

Or parmi toutes ma colonne

Vertébrale se tient pourtant

 

Au fond de moi plus rien de l’homme

Ni d’alcalin ni de métal

Ce que je fus gerbe d’atomes

Retourne au tombeau capital

 

Du fond des mines du silence

Tu pouvais déceler le cri

Des cris le clef des transes

Et pourtant tu t’es endormi

 

Va-t-en ! Va-t-en ! Tu n’es pas digne

De la pourpre d’un seul matin

Crucifié par d’insignes signes

Ton cœur pourrit ton sang s’éteint

 

Sans Terre ? Jean ? La belle affaire !

Sans Graal sans Baal sans soif sans faim

Tu n’es que poils glandes viscères

Et sans commencement ni fin

 

Je brûlais sous la lumière glaciale

Et je gelais dans mon corset de chaux

J'avais faim à la table de Sardanapale

Et j'étais ivre d'évoquer de l'eau

 

Je vous dis adieu sans mes rides

Ces routes qui mènent plus loin

Que les boomerangs dans le vide

A capter le soleil rejoint

 

Corbeau juché sur mes vertèbres

Ami : de ton bec carnassier

Nettoie mes os de leurs ténèbres

Sois plus que féroce que l'acier

 

O vide-moi de ma substance

Et de mes rêves souterrains

Que l’imperméable silence

Me glace jusqu’au fond des reins

 

Vide-moi de ma folle danse

Et de ma pauvre vérité

Et du désir de l’alternance

D’être ou n’avoir pas été

 

Que mon lamentable squelette

Plus nu qu’au jour où il devint

Comme une coupe d’or s’apprête

A recevoir l’hôte divin

 

Déjà tout transpercé de lances

D’or et d’illumination

De l’ange de la pénitence

J’attends la domination

 

Je sens croître à mes omoplates

Deux pennes au soyeux duvet

Et s’ouvrir la fleur écarlate

De mon cœur enfin achevé

SEMAPHORE 1945 n° A (15 strophes)

 

Jour de Noël , Paris 1947 ( LETTRE à MARIE-ANNE )

Hier soir, avec Claire à la messe de minuit

à l'église Saint-Étienne du Mont,

sur la Montagne Sainte-Geneviève,

près du Panthéon.

Quel magnifique embrasement de l'âme !

Ah pierres vénérées de ces vieilles églises de Paris,

chacune saturée et nourrie des regards et des larmes

du peuple au coeur brûlant

et à l'esprit qui déploie ses grandes ailes

dans les vents qui agitent le Continent.

Pendant mes sept années d'exil en Amérique

j'ai si souvent

espéré cette soirée,

je me suis rappelé les mouvements gracieux

des ruelles

qui montent vers cette colline spirituelle ;

j'ai essayé de me remémorer les boutiques

d'humbles marchands

d'estampes ou de vieux livres,

qui sont aussi des penseurs

et jamais tout à fait présents,

l'oeil tourné vers les antiquités lumineuses,

et si peu enclins à vendre quoi que ce soit !

Paris, cher Paris,

cité des rêveurs et des penseurs,

cité des cordonniers-poètes

et des concierges cartésiens

qui vous récitent du Péguy quand vous entrez

  dans leur loge.

Je suis heureux d'être revenu

dans tes quartiers familiers

et sur tes quais

près desquels coule la Seine aux eaux noires

et éternellement incomprises par l'homme

qui passe sur le pont

et se dirige vers le Palais de Justice .

quelle justice,

sinon celle de Dieu...

Lettre d’Yvan Goll , inédit St.D.d.V. 

 

La Chanson des Ponts

De la rive droite à la rive gauche

De la main droite à la main gauche

De l'Europe droite à l'Europe gauche

Nous passons sous les ponts

Nous passons de saison en saison

Gagnant du temps

Perdant la face

 

De la rive gauche à la rive pauvre

Entre l'eau et le ciel

La tête aux anges et le cœur à l'enfer

L'oiseau fore la terre et la taupe s'élance

Nous passons de saison en saison

Gagnant de l'or

Perdant la terre

 

De la rive verte à la rive noire

De la bouteille rouge au verre vide

De l'amour à l'oubli

L'arbre s'échante l'oiseau s'effeuille

Nous passons de saison en saison

Gagnant la vie

Perdant la mort

JEAN DE SAINT-DIÉ inédit S.D.d.V.( daté N.Y.1941 par C.G.)

 

L'arbre et l'oiseau

J'étais l'arbre velu

A la barbe de mousse et de chenilles

Au coeur de bois

A la peau d'éléphant

Que nul crime nul orage ne plie

Mais avec mille bras braver les vents les dieux

Avec des pieds crochus griffer la terre sourde

Noir et seul et grand !

Lorsque tu vins

Danseuse

Sur la corde de mon coeur

Sur une branche sans espoir

Rose-gorge

Et réveillas les aubes tristes

Mes paupières battant soudain

Comme de jeunes feuilles

Et devant toi, oiseau, ombre d'oiseau

Mon tronc que nul orage ne pliait

Trembla.

Ivan Goll ( Partisans,  n°4 - juillet 1924, p.4 - 19 vers)

 

Le chant des Cyclopes

Redeviens Cyclope

Frère au front poli

Rebâtis d'Europe

Le rêve aboli

 

 Tandis que la Seine

 Pousse aux océans

 Son eau vieille et vaine

 Cherchant le néant

 

Noirs jusqu'aux racines

Les arbres déments

Boivent la benzine

En guise de vent

 

Haleine d'oxydes

Baisers de lysol

Hâtent le suicide

De ce grave sol

 

Or il faut que lèvent

D'un nouveu purin

Les magiques sèves

De ces souterrains

 

Il faut des miracles

Des sangs mélangés

Des phares qui raclent

Des hôtels âgés

 

 Tandis que la Seine

 Pousse aux océans

 Son eau vieille et vaine

 Cherchant le néant

 

Délivré du doute

Peuple mal aimé

Marche sur la route

De l'esprit armé

 

Toi sous les médailles

D'astres redorés

Suis les funérailles

D'un siècle abhorré

 

Verse les pétroles

D'or sur la cité

Et les auréoles

D'électricité

 

Sur cent mille tonnes

D'horrible béton

Monte la colonne

Que nous habitons

 

Tant de mètres cubes

De mortel plâtras

Font qu'un jour Hécube

Ressusciteras

 

 Tandis que la Seine

 Pousse aux océans

 Son eau vieille et vaine

 Cherchant le néant

 

Au ballet des sphères

De furieux kobolds

Fécondent la terre

De millions de volts

 

Des dômes de cuivre

Couvant l'œuf du feu

Suent un ardent givre

Et des blizzards bleus

 

Autour de nos têtes

Chacune un soleil

Tourne des planètes

L'antique appareil

 

 Tandis que la Seine

 Pousse aux océans

 Son eau vieille et vaine

 Cherchant le néant

 

Mais l'homme de verre

Plus astucieux

Que la chair espère

Renverser les cieux

 

Voici l'Homme ! Admire

Au cirque du sang

L'éternel délire

Des temps renaissants

 

Voici la machine

De la vérité

La rate et l'échine

Des Dieux hérités

 

Voici l'os où loge

L'ultime ressort

Et voici l'horloge

Qui compte la mort

 

 Tandis que la Seine

 Pousse aux océans

 Son eau vieille et vaine

 Cherchant le néant

 

Au secours ! Génies !

A ce temps bâtard !

Des cosmogonies !

Et des liqueurs d'art !

 

Plus haut les cothurnes !

Marbres : plus humains !

Que le bon Saturne

Trace nos chemins !

 

Danseur, je t'écoute !

Ton pas fait chanter

L'élastique croûte

De ce sol hanté

 

Et de vingt-cinq langues

Le choral ailé

Réveille l'exsangue

Globe écartelé

 

J'allume les astres

J'allume la Tour

Dressant le cadastre

Du total amour

 

 Tandis que la Seine

 Pousse aux océans

 Son eau vieille et vaine

 Cherchant le néant

non daté, inédit S.D.d.V.

 

Le Pêcheur au bord de la Seine ( Mystère)

 

Des enfants chantent

Pêcheur au bord de la Seine

Pêcheur au bord de ta peine

Que pêches-tu ?

 

Pêcheur

Je pêche la vague qui se dépêche

Je pêche l'oiseau perdu dans les algues

 

Les enfants

Pêcheur au bord de la Seine

Que pêches-tu ?

Le poisson de feu ou l'étoile de pierre ?

 

Pêcheur

Entre l'eau et la terre je balance

La tête en bas dans la ténèbre

Les pieds en haut dans le nuage

Entre deux vérités je pêche dans le vide

 

Mendiant

Donne-moi une petite carpe d'or, j'ai faim

 

Pêcheur

Mon frère aveugle, ne sais-tu pas que je pêche sans appât

je ne pêche que le mystère entre l'eau et la terre

 

Mendiant

Eh bien, donne-moi un bout de mystère, j'ai faim

 

Pêcheur

Hélas, mon frère, je pêche pour ne rien attraper

Je pêche la vague et non la carpe

Je pêche le désir, non l'accomplissement

Car la carpe qu'on attrape est une carpe qui meurt

Et le mystère qu'on attrape est un mystère mort

 

Urien

Tu es donc un homme sans cœur

Tu ne penses pas à tes frères qui ont faim

 

Pêcheur

Je suis un homme sans cœur

Je ne pêche pas les poissons. Je ne produis pas.

Mais je pêche mon cœur qui roule dans les vagues

Mon cœur qui s'est échappé et que je ne connais pas

Oui, mes enfants, voilà ce que je pêche.

 

Les enfants

Pêcheur au bord de la Seine

Que pêches-tu ?

Que fais-tu de ton cœur que tu ramènes ?

 

Pêcheur

Je ne veux pas l'attraper

Je ne veux pas venir au bout de mes désirs

Qu'est-ce que la sagesse ?

Demander à la vague où elle roule ?

Ou apprendre à la vague où elle roule ?

La sagesse est-elle la question ou la réponse ?

Le fleuve est la sagesse même

Et maintenant je sais ce que je pêche sans appât :

Je pêche la vague elle-même

La vague féminine, soyeuse, voluptueuse

Ma propre sœur dans le temps

L'ivresse entre le passé et le futur

 

Mendiant

Tu vois, tu ne sais pas toi-même, ce que tu pêches

Tu ne sais que faire de ton cœur et de tes yeux

Ah si j'avais tes yeux et ton jeune système cardiaque

J'en attraperais des truites, des saumons, des esturgeons

Je nourrirais toute l'humanité affamée

 

Pêcheur

L'humanité a beaucoup de pêcheurs et de marchés aux poissons

Et de perches et de brochets et de rascasses et d'ombres chevaliers

Mais depuis dix mille ans

Quel homme a jamais attrapé la vague ?

 

Un Marinier (passe sur son bateau)

A la dérive

Entre les rives rivales

La rive du désir et celle de l'oubli

Ma vague divague

Ma vie descend

Le fleuve incandescent

 

Mendiant

J'entends la vie qui passe sur un bateau fleuri

J'entends une autre sagesse descendre le fleuve

Et qui ne reste pas captif de sa rive

Car il est vrai, tout a deux rives et deux vérités

 

Le Marinier

Je suis l'homme aux deux yeux qu'Urien réclame

Je suis l'homme aux deux bras, aux deux avirons

Je vire à droite pour tourner à gauche

Ma rive droite lave ma main gauche

L'aube de bâbord présage la nuit de tribord

Je bois aux deux seins de Léda l'innocence et l'expérience

 

Pêcheur

Passe, marinier, passe

La vague t'a précédé, la vague te suit

Derrière toi ne reste qu'une cicatrice

 

Marinier

Pêcheur, moi je te vois du milieu du fleuve

Je te vois mieux que tu ne te voies

Je te vois double et ivre

Debout sur ta tête et pendu par les jambes

Tu t'opposes, toi et ton image

Lequel de vous réel et irréel ?

Ton ombre se visse vers les ténèbres vertes

Et ton corps troue la pureté du ciel

Quel est ton Toi ? Quel ton Non Toi ?

Tu te dédoubles et te supprimes

Ta statue d'eau est ton éternité

Peux-tu te voir ?

Et tu ne verras jamais le mystère

 

Les enfants

Marinier de la Seine

Où rames-tu ?

Où te conduit cette carène ?

 

Marinier

Au fil de l'eau

De l'au-delà

Mon beau bateau

S'en vient et s'en va

 

Pêcheur

Passe, marinier, passe

Tu décoiffes ma vague, tu déchires ses voiles

Méchant vivant, c'est toi qui tues le rêve

 

Urien

Et le marinier passe et le pêcheur pêche

Et moi qui suis aveugle

Je vois plus bas que les algues où dorment les oiseaux

Je vois plus loin que la rive opposée et négative

Je vois le bouquet de feu que cueille la douce petite fille

Les fleurs de feu qui nous dévoreront

Les fauves de feu qui nous embrasseront

Je vois la gueule qui avalera le fleuve

Et l'incendie qui construira de nouvelles nefs gothiques

Je connais la question et la réponse

Et la sagesse qui ne daigne ni questionner ni répondre

Je vois l'Un et son Double qui ne font qu'UN

Reculer vers le commencement

Qui est la fin

Mystère, 1936, inédit S.D.d.V.

 

Les Bucoliques de Paris

Les Vierges de Marly pour s'exercer à être mères portent des gerbes de lilas

En descendant vers Paris qui bivouaque

Sur pilotis de la Concorde dans les marais de la pluie

 

Mais il ne leur faut qu'un brin de cerfeuil

Pour diadème et dans l'herbier sauvage

L'amoureux reconnaît leur fin pouvoir

 

Un lâcher de corbeaux mauves s'échappe des cloches

Dans toutes directions et déchausse déjà les pierres

Pour la future insurrection

 

Puis nous n'attendrons plus quelque juillet caduc

Pour enraciner dans le ciel les arbres du déluge

Dans les charniers de Saint-Paul

Le lancement de coeurs corrosifs

 

Le peuple réclame les bijoux de l'héritage

Il porte ses malades sur les ponts où les décorera

La Rose d'honneur

 

Dans la nuit clandestine

Les Géorgiques nationales sont imprimées

Sur les matrices de la Seine en feu

grosses variantes dans cet inédit de Saint-Dié  avec GEORGIQUE NATIONALE (Les Géorgiques Parisiennes p.25)

 

Les Ivres

O Prodigues !

Partis des soirées lointaines -

Dans la corbeille de votre coeur

Vous portez tous les talismans du monde,

Dansez mes frères

Devant la ville où les hommes se battent !

Longez la mort et abordez le meurtre ;

Anges des asiles de nuit et des salles d'attentes,

Demain des ailes dorées

Croîtront à vos pantalons sales

Et qui au monde

Sanglotera d'une âme plus profonde

Qui donc embrassera la terre

Aussi farouchement que vous.

Les Ivres (La Vie Nouvelle n°2 - Janvier 1921- Le Caire p.28 )

 

Lune rousse

Ton amour brûle comme du poivre rouge

Je mange les pistaches de tes yeux

Femme d'été

Il faut nous dépêcher de capter toute la vie

Demain il fera froid

La boussole de mon coeur s'agite

Vers le Nord, vers la Mort

Les pivoines ne durent qu'un midi

Tu es mon champ de blé aux taches de rousseur

Tous tes épis attendent

La foudre.

Montparnasse, n°31- 1er mars 1924. (11 vers),

 

Manège

Pauvre musique de faubourg,

Qui t’arraches la valse d’entailles déchirées,

Si fatiguée que tu radotes sous la pluie

Ton histoire vieille comme le monde.

Pourtant tu fais tourner les enfants sales

Sur des aéroplanes de bonheur

Et dans des carrosses dorés de soir!

Mais la rue alentour

S’est mise à pleurer :

Les femmes de cire du coiffeur fondent,

Les belles du photographe jaunissent sous la pluie,

Et la tristesse

S’assied dans un coin du café

Et n’en bougera plus jamais.

Cette même tristesse qui comme une putain

A décidé de s’asseoir dans mon cœur

Et d’y mourir.

Demain n°2 - Eté 1930 - " Manège " d'Ivan Goll p.3

 

Manifeste Zénitiste

Chaque matin, à cinq heures, partout, sur tous les cinq Continents, le même Journal élève sa tête gris-de-nuit et crie les mensonges noircis du monde :

 

CONFERENCE DE LA PAIX - UN MEURTRE DANS UNE CREMERIE - SUICIDE DANS LE CŒUR D’UNE ADULTERE - ACHETEZ LES LAMES GILLETTE - BERGSON A CHICAGO - VOTEZ POUR NERON ! ALLOOO ! !

 

O chers Européens aux fronts bas, femmes aux corsets trop étroits, enfants qui jouez au Cheval de Troie : ennemis, ennemis entre vous, frères ennemis : vous tous qu'on appelle les élus de la création, qui portez des couronnes de papier sur une tête coiffée à l'américaine :

O socialistes, o royalistes, prolétaires en guenille dans les mines , banquiers souriants de Londres.

 Oh !

Non, ce n'est pas vrai, nous ne vous aimons pas ! Non, mes frères aux crânes de poire, professeurs abêtis, fonctionnaires alcoolisés, médecins de la peau et de l'âme : non !

 Nous vous haïssons, haïssons, haïssons !

Mais nous voulons arracher les masques de ce carnaval capitaliste de vos visages, nous allons vous dépouiller de vos habits cyniques et de vos feuilles de lierre, nous allons inonder de blasphèmes votre cerveau séché comme une vieille éponge et votre cœur endurci comme un petit pain d'avant-hier

  ALORS

 vous tous, animaux-nés, criminels-nés, militaristes-nés ! O nations grandies par les chants de guerre d'Homère à Marinetti, o civilisations statuées par les Bibles, les Grammaires et les Codes Pénaux : peuples ! par dessus vos casernes et vos palais de justice, qui portent la devise humoristique : LIBERTE, EGALITE, FRATERNITE en lettres d'or : par dessus vos murailles chinoises et vos morales turques

 Nous vous montrerons le

  ZENITH

 Nous ferons éclater le

 SOLEIL

des cataractes de vérité, des millions de volts de lumière céleste

 Nous vous offrons

 LA MACHINE A PENSER

DE TOUTE PREMIERE QUALITE DIPLOMEE

 LE SOLEIL LIQUIDE

dans des boîtes de lait condensé :

 LA VERITE.

Non, non, NON : nous ne venons pas vous embrasser: mes frères : o cyniques, imbéciles, politiciens, académiciens et syphilitiques : o sentiments nationaux !

 Il n'y a pas d'arbres généalogiques

 Il n'y a plus de tradition

 Il n'y a plus de nations

 MAIS DES HOMMES

 On n'est plus Français, Serbe, Nègre, Allemand ou Luxembourgeois

 EUROPEENS !

 Voici le trust de la Vérité

  ZENITH

 Nous allons laver vos cerveaux et vos coeurs avec du radium, de l'ozone et de l'hydrogène, nous vous apprendrons, hommes de toutes les races, à marcher nu-tête : sans casque ni haut-de-forme, ni feutre, sans avoir peur de la Vérité, droit dans le SOLEIL !

 Ivan Goll

Manifeste zénitiste ( Lumière n° 11 - 30 juin 1921, Anvers - Belgique)

  Nocturne

 La lune, à travers le rideau,

 Verse sa lumière dorée,

 Et l'on entend le crescendo

 Des tristes rythmes de Borée.

 

 Sur la fenêtre, un chat câlin

 Rêve, zébré de noir et jaune,

 Son œil dans l'orbite opalin

 S'irise comme un œil de faune.

 

 Il est profond comme un miroir,

 Qu'un beau profil d'enfant caresse,

 Et semble chercher dans le noir

 Les immensités de tristesse.

 

 Cet œil, c'est l'âme de la nuit,

 Qui cherche tout sans rien comprendre:

 Il veut saisir tout ce qui luit,

 Et, saisi, ce n'est plus que cendre.

 Ivan Lazang (de Metz)

Le Pays Lorrain et le Pays Messin, Septième année - 1910 Revue mensuelle illustrée (64 p.) Littérature, Beaux-Arts, Histoire, Traditions populaires) Ivan Lazang (de Metz)* Nocturne (16 vers) p.301 Nancy - 29 rue des Carmes

 

 Ode à Rome

Mordons dans la pêche de Rome

Ce fruit fauve et juteux.

Buvons à toutes ses fontaines

Et courons à tous ses mystères

De colline en colline.

 

Amis, dressons nos corps

Nouvelles colonnes doriques,

Vers la lune rose 

Remplaçant celles qui se sont rompues

Dans les jardins de Galatée.

 

La vie demeure souveraine

Dans cette terre cent fois morte.

Les tombeaux d'empereurs

Ne sont que des berceau de mousse

Pour le peuple très amoureux.

 

Dans les débris des temples

Naissent les roses,

Dans la poussière brune

Minerve et Marie

S'épousent doucement.

La pierre a souffert plus que l'homme

Mais, dans l'épaule mutilée d'un pape,

Un jeune lézard

A fait son nid

Et effraie déjà les chardons.

 

Et nous, les amis fugitifs,

Couronnés du jasmin de juin

Ivres des roux octobres,

Nous vaincrons l'heure ténébreuse

Qui glace les espoirs.

 

Sous le sabot de bronze

Des rêves héroïques

Explose la lumière du matin

Et les clochers des sept collines

Ne réveillent que les morts.

Les Nouvelles littéraires -n° 645, 23 Février 1935, page 2 ( inédit )

 

Paris , Etoile des Poètes ( 1922)

A recopier

 traduction française de Claire Goll inédite -Saint-Dié des Vosges : Ms 553c -

 

Pêche de juillet

Pêche de juillet : mon aînée

Quarante aubes seulement te séparent du soir d'avril

Où l'hélice rose de ta fleur trembla sous mon haleine

Quarante midis traversés de vols de cigognes

Quarante soirs exerçant la gamme des rouges

Quarante nuits où la nounou te nourrit du lait de lune

 

Et te voici mûre :

Sphère de connaissance et de souffrance !

Solidement vissée à la loi de l'univers

Par les écrous et les noeuds de la branche

Respirant sous la tente des feuilles en forme de mains

Et travaillant nuit et jour

Dans l'atelier des astres, dont les courroies invisibles

Fournissent le courant cosmique

 

En quarante jours, tu t'es parfaite !

(Et moi, en quarante ans, qu'ai-je parfait ?

Ni la sphère d'une pensée complète

Ni l'assurance d'un coeur inébranlable)

 

Ton noyau, centre du monde,

Plus solide qu'une forteresse, qu'un tribunal, qu'un amour

Taillé comme un diamant, sillonné comme un océan

Et muni du dard

Qui percera le roc

Dans sa descente en terre et en éternité

 

Tu l'as cimenté, maçonné, ciselé sous mes yeux

Dans mon jardin, à mon arbre,

Que j'ai payé comptant en drachmes, en roubles, en marks,

en francs, en livres, en dollars

Sur la colline des érables, dans la vallée des saules, près du pré des fouines

Dans la vigne d'or, dans le potager bleu,

Pêcher ! Mon pêcher !

 

J'ai secoué des tonnes de tes planètes-fruits

Qui n'avaient qu'une raison d'être

Tomber à la terre vétuste

Et pourrir

Car ils étaient fait de chair

De chair qui tremblait au passage des noctuelles

Comme aux rayons de l'Orion

Chair de velours beige ou de peluche verdâtre

Chair jaune ocre orange grenade parme malte mecque

Chair de vierge et de vieille putain

 

Mes pêches ont roulé de tous les vergers

Elles ont illuminé les terrasses des reines d'Orient

Au pied de l'Olympe elles ont perpétué les seins d'Aphrodite

Elles ont été cueillies vertes et maigres

De fillettes dalmates trop tôt vendues par leur mère

Et les pêches roumaines sucrées aux sang juif

Les crétoises minées de TNT

 

Les pêches d'espalier de Crimée, crucifiées au mur des otages

Oh celles de tous les vieux vergers sur l'Euphrate ou la Gironde

Transformés en cimetières

 

O pêche de chair ! Chair de pêché !

Brasier d'amour

Incendie de l'insulte

Hémorragie du coeur du monde

Abcès atroce qui suppure sous la rondeur pure :

 

Je te mange

Et crache ton noyau aux ordures

Les Cercles Magiques - inédit non publié  

 

Premier mai 1920 à Paris

Des autobus d'argent montent dans le matin printanier

Aux terrasses des Cafés l’absinthe est couleur - prairies

Un mécanicien se fait raser

Muguet muguet

Tu fleuris sur le grand portail du Sacré-Coeur!

La pierre se couvre de bourgeons

La Colonne de la Place Vendôme

Tombe une fois encore !

 

Un Brigadier

Un cheval

Ici ou là un compagnon pâtissier

Venus du peuple des quartiers

Plus près

Des drapeaux brûlent

Un aéroplane au-dessus de Paris

Danse le Cake - Walk .

 

De la Tour Eiffel jaillissent des radiogrammes de Moscou 

 

Mai ! premier mai!

Tous ! Tous prolétaires !

Des cheminots en grève sont assis dans les bois

Tous les prés du printemps chantent la Marseillaise 

Et l'Orient-Express ne roule pas

 

La corne d'abondance du soleil est au-dessus du boulevard

Les chants sont au rouge

Un Saint Sébastien monte sur un tram et parle

Soldats soldats

Un coup de feu

Un rictus

Sort des dents des mourants

 

Dans le jardin des Tuileries le tonnerre du peuple se fait entendre !

Ivan Goll : Erster Mai in Paris 1920 (Traduction de Jean Bertho)

Zenit I - n° 4 - mai 1921. Revue internationale yougoslave :

 

Qu'était-ce donc la vie ?

Mes chansons tombent de ma bouche

Comme des cailloux de sang rouge

Suis-je donc si malade ?

 

La plus douce tristesse

Est lourde à mes épaules

Comme un fichu de neige.

 

Le soleil est trop chaud,

Et la lune est trop froide,

O mon âme a la fièvre.

 

Qu'était-ce donc la vie ?

Je ne l'ai pas sentie.

Mais je la touche au moment de mourir.

Sang Nouveau (5 ème année- XXIV N°2 Janvier-Février 1932 p.31)

 

Rame

 

Squelettes debout

 

Dans la fosse commune roulante

 

Condamnés à la peine de vie

 

Qu'attendez-vous, agrippés l'un à l'autre

 

Sans même le rire des morts

 

Peint sur vos lèvres ?

 

Le temps ronge vos tempes

 

La peur use vos yeux

 

Et vous ne rêvez plus jamais d'une colline

 

Couronnée d'oliviers

 

Ou d'une plage fleurie d'ibis roses ?

 

 ( Soutes, février 1936 p.93 )

 

 

 

Roche Sorcière (inédit) 

 

Roche Sorcière

 

Vierge enchaînée à la patience essentielle

 

Sphinx aux treize seins

 

Courbe à faire dériver le temps

 

Génie femelle : Ouvre-toi !

 

 

 

Ouvre tes éventails de patelle

 

Ouvre tes prisons de magnésie tes cages d'oiseaux

 

Et l'œil si doux de la sardoine

 

Ouvre les veines des marbres

 

Roche ! Déshabille-toi !

 

Ouvre ton sanctum de gypse

 

Et fais couler sur nos mains le sang blanc de tes magies

 

 

 

O roche à la voix d'uranium jaune

 

Chair si longtemps morte de patience

 

Que prépares-tu dans l'ocre octobral

 

Dans la novembrite d'aiguemarines ?

 

Tous les éclairs qui t'ont pénétrée

 

T'ont rendu enceinte géante accoucheuse

 

 

 

Veines et aortes de calcites éclatent

 

Le fiel des émeraudes coule

 

Les craies et les gypses ankylosent la mer

 

C'est l'annonce d'une nouvelle genèse

 

La vraie lumière exulte

 

Roche Percée

 

Dans ton cœur d'atome

 

 

 

  Roche Sorcière  (inédit) 

 

Roche Sorcière

 

De Delphes du Harz ou de Gaspée

 

Ouvre-toi

 

Derrière tes éventails de patelles

 

Ouvre l'œil si doux de la sardoine

 

Ouvre tes prisons de magnésie tes cages de schorre

 

Ouvre les poitrines des marbres

 

Chair de chaux vive

 

Montagne aux treize seins

 

Courbe à faire dériver le Temps

 

Génie femelle : Ouvre-toi !

 

 

 

Roche déshabille-toi

 

Jusqu'en tes zincs jusqu'en tes naphtes

 

Et laisse couler sur nos mains

 

Le sang blanc de tes magies

 

 

 

R   Roche Miroir  (inédit)  

 

Ro   Roche Miroir

 

Av   Aveugle de te regarder dans les mille glaces du prisme

 

O     Folle échevelée

 

D     Dans ton château aux portes de granit

 

 

 

Roche Miroir

 

Qui me regarde de mille yeux sans me voir

 

Roche qui ne m'ouvre aucune de ses mille portes

 

Je voudrais effacer ton regard glacial

 

Effacer les lacs de la terre

 

Et les soleils de la face du ciel

 

 

 

Roche Miroir

 

La gorge transparente et traversée des lames du prisme

 

O toi qui m'aveugles avec ces miroirs ardents

 

Et me tend ces glaces sans me laisser voir ma face

 

 

 

Dans ton château aux issues condamnées

 

Aux fenêtres qui s'éteignent au moindre espoir

 

Je te vois Folle chaque nuit descendre l'escalier du schiste

 

Sans atteindre l'exit des âges

 

 

 

Dans ta prison dodécaèdre

 

La lumière militante

 

Réussira-t-elle un jour à mourir ?  Trois poèmes non publiés dans  Le Mythe de la Roche Perçée

 

 

Rosa Luxembourg

Il fallait que ce fût sa plus belle Amante

Que ce fût son étoile la plus bleue

Depuis cinq ans, le Peuple l'attendait.

 

Un jour : Elle vint, parée d'or et de jais

Une voyante qui sort du trou des Bibles et des Ghettos :

C'était la Fiancée du Pauvre et des Humbles !

Des loups léchaient le sang de ses pas,

Elle n'avait rien sur les épaules, Rien sur sa main que son Cœur qui tremblait :

Etoile.

 

Alors le Peuple n'y tint plus,

Devant celle qui venait à lui depuis des siècles.

Les aveugles ne pouvaient soutenir son regard,

Et les sourds avaient peur de sa voix !

Tous ils se ruèrent sur leur Reine .

Pour la tuer,

Pour s'immoler en elle .

Clarté n° 9 - 24 janvier 1920. page 1, traduction d'Ivan Goll

 

Rue de la Mort

 

Sous ta poitrine de ciment,

Sous tes paupières de fer,

Ville narcotisée,

J'entends ton sang qui bat .

 

J'entends tes femmes qui chantent,

Sources chaudes souterraines ;

Tes escaliers qui pleurent

Et tes morts aux lèvres plombées .

 

Il y a les hommes qui se réveillent

Au milieu de la nuit,

Soudain ils comprennent

Qu'ils ont oublié de vivre .

 

Des rues désespérées

Courent en vain après le ciel

Et tremblent

De tous leurs réverbères . 

 

Est-ce toi, solitude ?

Qui grelottes sur la Place

Dans ton manteau de vent,

Prostituée qu'aime un poète ?

 

Un autobus malade

Transporte les soucis des gens

De l'aube au soir et retour

Sans jamais calmer son angoisse .

 

Quelquefois une porte

Restée ouverte

Comme la bouche d'une morte ...

Je suis son dernier confident .

Le Journal des Poètes 1ère année, n° 2 - 11 avril 1931

 

Si j'avais la douceur de la pistache verte

Que tes dents aiment broyer

Si j'avais la chair molle et sucrée de l'orange

Que tes doigts déchirent sans hâte

Si j'avais l'odeur fine du jasmin

Qui t'attirent devant les murs des inconnues

Serais-tu plus fidèle ?

(Trois Chansons Malaises Orchestre p.55 (Le Divan 1937)

 

Strophes sur la Grande Misère de France

 

Quand sur la ligne Maginaire

Les rêveurs ivres de tambours

Cultivaient la rose trémière

Du Munster rose de Strasbourg

 

Derrière tes beaux rideaux d'orge

Où l'alouette aiguisait l'air

N'entendis-tu jamais les forges

De haine où travaillait Fafner ?

 

France: perverse paysanne

Séduite au coin du Bois Dormant

Le fils de tes amours rhénanes

Vient accomplir ton châtiment

 

Ils sont partis de Barbarie

Derrière Metz près de Châlons

Jusqu'à Paris toute marrie

Qui cavala vers Cavaillon

 

Ils sont descendus vers les sources

Du sel et de la liberté

Détournant de leur sage course

Les fleuves de l'antiquité

 

Ecrasant le sein de la Seine

L'aine de l'Ain

L'aile de la Moselle

Le rein du Rhin

 

Tes eaux sombres tes eaux lucides

Les vins les cidres les liqueurs

Toutes tes sources se suicident

Et se retirent de ton cœur

 

Dans le sang boueux de l'aurore

Dans la pluie du petit matin

Tes colchiques se décolorent

Et l'or de ton casque s'éteint

 

Terre tu n'es plus que de glèbe

Où l'on découpe les tombeaux

Les avant-postes de l'Erèbe

Et des délires hivernaux

 

La nuit la source de la lune

Mélange un nouveau vitriol

L'aube fera moisir les prunes

Et tourner le lait dans les bols

 

Jeanne, Jeanne te voici

Bergère de Domrémy

La France a besoin de toi

N'as-tu pas perçu les voix ?

 

Toi qui depuis si longtemps

Habites le firmament

Pucelle au cœur de diamant

 

Ton bûcher couvert de poix

A-t-il brûlé ta mémoire ?

Laisse-t-il monter la voix :

La France a besoin de toi

 

Jeanne, Jeanne, écoute mon cri :

Bergère de Domrémy

La France a besoin de toi

N'as-tu pas perçu les voix ?

New York , 14.6.1940 inédit S.D.d.V.

 

 Sur un dessin de Henri Michaux

 Buisson ardent

  Buisson d'aubes et d'aubépines

  et d'épines

 Buisson de feu dont les dents

  mordent et dont les ongles

 lacèrent l'imposture de Dieu

  Buisson d'églantines fédérées et

  de roses non encore baptisées

  Buisson incendiaire des nuits trop

  mortes pour qu'aucun sommeil

  ne les nourrît

  Buisson de poésie : j'y trempe et

  j'y brûle mes mains

  Ivan Goll

  7 juillet 1939

 reproduit avec l'autorisation de Jean Bertho

 

Tryptique Vénitien

 

 I

Venise en forme de Poisson

 

Poisson sacré frit à l'huile

Chaque écaille un palais d'or

Partout de l'échine sort

L'arête d'un campanile

 

L'eau fertile de Venise

Fait mûrir dans une moisson

De maïs à la cuisson

Du soleil qui la balise

 

Noces de l'eau et du jade

Gîte du lion ailé

Rugissant aux colonnades

 

Où Saint-Marc s'est installé

Dans ce miroir qui frétille

Le poisson de Dieu scintille

Venise 15 septembre 1949 Inédit Saint-Dié des Vosges

 

 II

Venise entre deux Marées

Bas dans la forêt engloutie

Supportant la cité titienne

Une mésange dalmatienne

Reprend sa chanson amortie

 

Et l'aile d'une écume ancienne

D'ange dans le marbre sertie

Que nul oubli n'a divertie

Et nul soupir de Vénitienne

 

Se prépare à reprendre l'air

Quand par l'insatiable marée

Tantôt les aura séparées

 

Que l'artiste du secundoce

Unit pour une étrange noce

La pensée et l'insane mer

Venise 23 septembre 1949 Inédit Saint-Dié des Vosges

 

 III

 

Venise reprise par les Eaux

Les chevaux trahis de Bysance

Traînent Saint-Marc vers son passé

Où retourne l'homme lassé

De superbe magnificence

 

Le lion pleure d'impuissance

Et les géants du Tintoret

Renient ce siècle timoré

Le canal est devenu rance

 

De vague en vague De palier

En palier le palais dévide

Son architecture liquide

 

Le Doge descend l'escalier

Et le portique de son cœur

Se ferme au tardif voyageur

Venise 27 septembre 1949Inédit Saint-Dié des Vosges

 

Tu passes sur ma terre

Je salue l'allégresse de tes pieds

 

Tu fais pousser mes plantes rouges

Tu fais rire mes doux ruisseaux

 

Les blés lèvent à ton passage

Les arbres s'agenouillent

Et j'étale mon corps jusqu'aux bords de mon Ile

Où que tu te diriges

Tu marcheras sur moi.

( p.55 dans Orchestre , Paris , Le Divan 1937)

 

Vendanges

Mon cœur c'est la saison de tes vendanges

Le muscat bleu des collines le poumon rouge des poitrines

Se marient dans les cuves de l'Etna et du Vésuve

Un bon Barbera de barbare se mélange

 

Un lourd Chianti de volcan embrume tes entrailles

Vieille folle Demeter grapillant tes vignes

Ne pleure plus ta fille : elle est chez les guerriers

Et les tanks dorment dans tes temples encore inachevés

 

C'est la saison où s'effondrent les villages comme des roses sèches

Et l'artilleur de Wyoming moissonne les oliveraies

Les têtes des héros éclatent comme des tomates

Les tonneaux de sang roulent tout seuls sur la route Appienne

 

Le vin de liberté est vite monté dans le corps exsangue

Le long des artères calcinées de Calabre

Le moût de septembre allume les laves humaines

Le Lacrima Christi est fait de Sangue Hominis

 

Voir Naples et mourir ! O glas des mandolines !

Voir les chanteurs napolitains la gorge trouée de balles

Santa Lucia meurt de soif au pied de la vigne

La cendre des bibliothèques assombrit le Vésuve

 

Mais les plus douces collines s'allument ! Les îles de perle

Deviennent des bûchers de crépuscule

Ils boivent du vin d'aorte dans les faubourgs de Corinthe

Et du vin de sueur dans les cafés dalmates

 

Tandis que la Corse flambe comme un oléandre en fleurs

Tandis que la Crête allume les sangs de Minotaure

Partout la cigale noire

Danse et chante

 

Partout la pierre dure et la poussière scintille

Les dieux n'ont pas quitté les péristyles de Paestum

La trace des Jeeps a pourri dans le sable

Un tombeau de fenouil brûle à la mémoire des morts

 

Et le berger revient après les vendangeurs

La vague des moutons déferle sous les chèvrefeuilles

Sur les pente arides de Patmos

Mûrit l'olivier

1948 Inédit Saint-Dié des Vosges

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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5 décembre 2008

Recueil Multiple Femme 1956

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Multiple Femme 1956 au complet

 

Multiple Femme I

 

Pourquoi n'es-tu jamais seule avec moi

Femme profonde, plus profonde que l'abîme

Où s'attardent les sources du passé

 

Tes mères inconnues, avec des gestes rouges

Discutent notre amour dans la forêt publique

Sur les gradins de leurs villes détruites

 

Et derrière les portes de ton cœur

On entend des géants monter

Vers le règne absolu de l'homme

 

Entends-tu ma voix qui chante ton prénom

Au dehors d'une oreille

Habitée d'océans immémoriaux ?

 

( Multiple Femme , Caractères 1956 p.9) II/277

 

Liammala

 

Liammala

A peine pensée

Par sa rosée en fuite

Mouche complète aux antennes vertes

Aux yeux blancs qui craignent

La puissance métallique de la déesse Faal

 

Vole, mon vertige

Vole ta volute

O mille fois plus convoitée que moi

Par la mort fortifiante

 

(Multiple Femme , Caractères 1956 p.10 )  II/278

 

Chrome 

 

Descends aux durs été de chrome

Etés inextinguibles Extases inassouvies

J'ai soupesé le feu lourd

Dans ma paume de soie

J'ai caressé le feu malheureux

D'avoir brûlé ses plumes bleues et jaunes

 

Je suis descendu plus avant

Palier par palier

Dans sa souffrance capitale

Dans son opacité d'aveugle

Tombeau de feu

 

O chrome

Où donc s'attarde ton amoureuse chute ?

Où donc t'attend la fébrile source Ollor ?

 

(Multiple Femme , Caractères 1956 p.11) II/278

 

 

La Plaie

 

Un mot à peine pensé : c'est frapper une plaie

Dans la chaux vive du mur

C'est répandre le sang sur une tête d'enfant

C'est priver d'innocence

Cette montagne qui ignorait l'écho

 

Un seul mot jeté dans la balance du monde

C'est insulter le volcan

C'est faire déborder le lac

Qui s'apprêtait à regarder en face le Dieu

 

(Multiple Femme , Caractères 1956 p.12) II/280

 

 

Marché Noir 

 

L'alcool jaune de la folie emplit les plus anciens étangs

L'aigle au duvet pouilleux souffre de l'affront de la faim

 

 Et la terre humiliée

 N'a que la profondeur des tombes

 

Quel pêcheur me vendra le poisson de chimère ?

Quel boulanger cuira mon dernier pain ?

 

 La nuit la femme passe à son amant

 La peur qui dormait sur son sein

 

J'ai vu le monôme des rois dans la Rue Basse

Alphonse Edouard Carol Humbert et les quatre rois du jeu de cartes

 

 Jeter leur couronne rouillée

 A la vieille ferraille

 

(Multiple Femme , Caractères 1956 p.13) II/280

 

 

MON CORPS MA TOMBE

 

Mon Corps ma Tombe

Où sèchent des oiseaux avant leur chute

Où tout le sang répandu par un coq

Ne fait point une aurore

 

Mon Corps mon Mur

Qui me sépare des eaux savantes

Il se passe d'étranges métamorphoses

En moi sans moi

 

(Multiple Femme , Caractères 1956 p.14)  II/282

 

 

Oseille 

 

J'ai mis mes oeillères d'oseille

Pour me nourrir de terre noire

Pour mieux humer l'ozone

Charrier un sang plus vert

Que chair de bégonia muscle de géranium

 

Je m'enoseille

Je convertis le carburant soleil

En liqueur à mouches en émeraude à vent

J'ai fermé mes paupières d'oiseau

Pour mieux voir pour mieux sentir

Le secret de la terre

 

Penseur je me dépense

Je vous dis adieu : nuages bronzes désespoirs

 

(Multiple Femme , Caractères 1956 p.15)  II/282

 

 

Course de Fond

 

Tandis que la main de ma montre pointe vers la mort

L'hélice du navire a fait l'amour avec combien de vagues

Et la roue du cycliste s'est accrochée à la roue du soleil

Le sable rose de ma vie tombe dans le vide

Le chant de mon cœur fait en vain le tour de la pitié

 

Je n'en peux plus Je lâche prise

La Terre a une trop grande avance sur moi

 

(Multiple Femme , Caractères 1956 p.16) II/284

 

 

Ur et Sichem Calcinés

 

Plus de bornes pour l'espoir . Fauchés tous les arbres

Le lasso des routes se ferme sur le vent .

 

Calcinés Ur et Sichem . Paris moins que cendres,

Eclair pressenti de ton silence .

 

Rares les regards qui osent frôler l'évidence

Plus d'issue pour mes raisons . O vide ganté de gloire !

 

Durcis ma prunelle pour soutenir l'innommable,

Mes yeux assiégés par les terreurs d'avant toi.

 

Je te voyais descendre des marches à venir,

Mais l'œil des nomades dit : Maintenant .

 

Un lambeau de soleil tremble dans ton sourire.

Mon visage te soutient d'un vieux reste d'amour.

 

Tu viens de bien plus profond que nos domaines.

Je te ris de bien plus loin que mes larmes.

 

(Multiple Femme , Caractères 1956 p.17) II/284

 

 

Faal

 

De notre balcon de Choesroes

Nous regardons la jeune lune

Chasser le soleil fatigué dans sa tanière

 

Les fleurs bleuissent et se fanent

Les poissons meurent

Nourris de nos pêchés

 

Je tiens ta main d'ivoire

Les irradiations de la lune

L'ont changée en une branche de corail

 

(Multiple Femme , Caractères 1956 p.18) II/286

 

 

Le Balcon d'or d'Ihpétonga 

 

Laissons partir à tout jamais le grand bateau

Qui reviendra quand cette vitre

Sera brisée en rides centrifuges

Et l'œil derrière la vitre

Plus tari qu'un raisin sec

 

Il reviendra le bateau chargé de pistaches

Et d'épices tropicales

Et le mécanicien cherchera la vitre brûlante

Pour la montrer à la Portoricaine

 

Mais ce soir-là elle sera noire

Remplie de mort

Plus rien qu'un trou béant dans la brique

 

(Multiple Femme , Caractères 1956 p.19) II/286

 

 

 

La Ville de Hor

 

Voici la Ville de Hor

Dont j'ai connu l'odeur de soufre

Avant d'y naître

 

J'ai disséqué les chairs orange de l'aurore

Avant d'en faire ma femme

 

A midi toute les Tours entremêlaient

Leurs cheveux de seigle car la campagne

Nous était favorable

 

Il y avait des coqs il y avait des corneilles

Qui nous aidaient à lire les signes du sang

 

Je suivais tantôt les cortèges blancs tantôt les noirs

Car les jours se succédaient

Mais les années brisaient leurs anneaux

 

Il y avait des incendies dans la Ville de Hor

De grandes fleurs jaunes dans les jardins publics

 

Bientôt une autre aurore se mit à disséquer mes chairs groseille

Avant d'ouvrir les portes de l'Hôpital

 

( Multiple Femme , Caractères 1956 p.20 ) II/288

 

 

 

L'oiseau-Dieu 

 

Les métaux et les herbes de ton alchimie

Sont la substance de mes jours

Vécus sur ton étoile neuve

 

J'habite ta montagne rose

L'or que j'y mine nuitamment

N'est pas celui des philosophes

 

Les baobabs ont le temps de mourir

Et les aigles de naître dans leurs nids

Tandis que notre amour mûrit comme un orage

 

Après nous  sur l'eau calme

Chantera l'oiseau-dieu

 

( Multiple Femme , Caractères 1956 p.21 ) II/290

 

 

 

Pourquoi ne te perçois-je

 

Malgré mes mille miroirs mes mille yeux

Pourquoi ne te perçois-je

Qu'à travers les barreaux de l'écriture

Dans la prison du triangle dans la perpétuité du cercle

Où dans le désert de la page blanche ?

 

Je mange l'œuf et l'aile de l'aigle

Mais je ne m'approprie

Que par le Mot

Ce qui m'échappe

Par la passoire des cils et des mains

 

( Multiple Femme , Caractères 1956 p.22 ) II/292

 

 

 

SOLLUNE

 

Femme anti-femme

Remonte de ton âge occulte

Pour établir ton double règne

 

De tes deux seins

Verse les deux principes

Lait rouge de la force

Vin blanc de la faiblesse

 

Androgyne Sollune

Beau corps de citronnier

Fleur à l'oreille droit

Fruit à la hanche gauche

 

Pour l'amour du néant

Au jeu de l'écarté

Epouse et trompe le Moi-Monde

 

( Multiple Femme , Caractères 1956 p.23 ) II/292

 

 

Lilith

 

T'avions-nous oubliée, Matriarche

Ecuyère du manège du monde

Enfourchant le cheval du vent

Et dirigeant d'un seul élan des cuisses

Le cours des ellipses fatales

 

Les soleils obéissent et bondissent autour de toi

Le frisson centrifuge

Rompt jusqu'à la matrice du diamant

 

( Multiple Femme , Caractères 1956 p.24 ) II/294

 

 

Tristesse Penthésiléenne

 

Tristesse Penthésiléenne

Oh l'outrageante royauté

De ce sein solitaire

Qui sous l'armure des victoires

Ne tourne plus Ne livre plus

Son lait vert qui sûrit

Son cœur vert qui survit

A sa réalité

 

( Multiple Femme , Caractères 1956 p.25 ) II/294

 

 

 

Baala I

 

En toi je tâte la loutre

L'eau fragile qui ruisselle

De mon souvenir de loutre

Une eau claire mais vite disparue

Avant d'avoir dit ton nom

 

En toi j'aime manger le feu

Qui dort au cœur du tigre

Et dont je caresse les langues bleues et jaunes

 

Or tu ne m'aimerais pas

Si je n'avais pas mes mains de sel

Mes mains de mer qui ont la cruauté

De la vague avilissante

Mes mains que tu connais bien

Et que je ne connais pas moi-même

Que je me coupe si je les regarde

Mes mains aux sinuosités de sable

Mes mains affamées comme des hirondelles

Mes mains ces éventails menteurs

Mes mains bénies de cette poussière mordorée

Qui attire les phalènes

Et qui ont au bout des doigts

L'huile de la perfection

 

 ( Multiple Femme , Caractères 1956 p.26 ) II/296

 

 

Baala II

 

C'est toi qu'attendaient les herbes savantes

Et les onyx mystiques

Femme-oiseau d'ultra-monde

Les deux hélices de tes seins

Tournant à toute démence

 

Viens habiter mon corps-cage

Ma chair veut plaire à ton palais

Comme du pain bien doré

 

Suis-je ta Tour ou ton Jardin ?

Tous les amours me brûlent

Jeune Viracocha ou Vieillard du Zohar

 

( Multiple Femme, 1956 p.27 ) II/298

 

 

Ton corps

 

Ton corps que j'avais allumé pour mon bûcher

Ton corps bien clos comme une glacière

Où je conservais mon feu vivant

En l'ouvrant après une courte absence en moi

Je le trouvais rempli de dangers

Derrière la porte de ton cri

Se cachait le meurtrier à la main de plâtre

 

Dans les galeries de tes dents

Des loups des loups riaient à la mort

Je montais plus haut

Hélas les locustes du désir avaient rongé

Les fruits de tes yeux

Et les cigales de nos étés

Scié la branche du pardon

 

( Multiple Femme, 1956 p.28 )II/290

 

 

 

Femme aux yeux innombrables

 

La nuit sous tes paupières fermées

Me regardent tes yeux de mica

Tes yeux de voyante

 

Je ne suis jamais certain de ma solitude

Tes yeux portés par les phalènes

Se posent sur moi et scrutent mon rêve

 

Ma femme d'extrême lucidité

Fulgurante comme le quartz

A travers mes sommeils

 

( Multiple-Femme , Caractères 1956 p.29) II/298

 

 

 

SUR LA MER DU SOMMEIL 

 

Sur la mer du sommeil

Ta cuisse est le modèle de toutes les vagues

Roulant vers les passés futurs

 

A la mesure de ton souffle

La vague universelle

Respire et meurt

 

Cousine des cyclades

Filleule de la grande Anadyomène

Fais-moi perdre ce visage d'homme

 

( Multiple Femme , Caractères 1956 p.30 ) II/300

 

 

 

ES-TU REELLE

 

Es-tu réelle ? Toi qui me regardes

D'un feu bleu qui ne me voit pas

 

Plus je t'approche, plus tu sombres

Au ravin des préexistences

 

Les forges clandestines de ton cœur

Trempent des armes contre moi

 

Viendront les pluies de solitude

Où la forêt émoussera ton cœur

 

Ta chair de rose — tes cheveux d'oiseau 

Ta voix de source : adorée, où es-tu ?

 

 ( Multiple Femme , Caractères 1956 p.31 ) II/300

 

 

 

NOUVELLE CONSTELLATION 

 

Chaque minuit je me réveille

De nouveau seul au bord du précipice

La terre a tourné vainement

La mer a laissé sur les sables

Ses conques vides

 

Je te cherche parmi mes joies d'hier

Où es-tu ?

 Où es-tu ?

Le vent prétend qu'il ne t'a pas connue

La source folle a oublié ton nom

 

Soudain, au tableau noir du ciel

Se dessine ta forme sidérale

Nouvelle constellation

La joie d'astronomes futurs

 

  l

  C  a

 i

  r

  e

 

( Multiple Femme , Caractères 1956 p.32 ) II/302

 

 

 

DU NORD AU SUR 

 

Petite Claire au bras du grand Obscur

Couple journellement en fête

Au cœur unique géré par deux têtes

Embrassons-nous du Nord au Sur

 

Brûlons au front le diamant sidéral

Aux lèvres la pulpe garance

Nos poignets encore marqués par les lances

Portent le bracelet d'Aldébaran

 

Si nos genoux sont moulus par la route

Des inlassables solitudes

Et par les sables dévorants du doute

 

Nos quatre pieds libre comme les fers

De l'alezan vainqueur des latitudes

Circonvolent en chantant l'univers

 

(Multiple Femme , Caractères 1956 p.33)  II/304

 

 

 

Femme-forêt

 

Femme-forêt

Forêt-femme

 

Me frôlant de tes foulées de renarde

 

Me nourrissant de tes yeux bleus de peur

Comme les mûres noctambules

 

Ton sang frais de fraise écrasée

Sucre les mots dans ma bouche-brasier

 

Je suis le bourdon mangé par ta rose

Le pluvier bu par la source féroce

 

A tous les Clairs de lune

Substituant ton Clair de Claire

 

( Multiple-Femme , Caractères 1956 p.34) II/304

 

 

 

 

AMOUREUSE! AMOURANTE!

 

 

Ah roseraie de tant d'étés

Où trois cent variations d'aurores

Renouvelaient l'amour le jour

 

Combien d'abeilles exilées

Combien de pluies exorcisées

Dans les rosiers de tes veines

 

Malgré la raison des saisons

Dans la folie de ta chair

L'oiseau-minute chantait chantait

 

Alors que déjà se sculptait

La solitude de ton crâne

Le Paestum dessous la neige

 

La mort submergeait tes vallées

La tristesse ta gorge

La grande cécité tes yeux

 

Amoureuse! Amourante!

 

( Multiple-Femme , Caractères 1956 p.35) II/306

 

 

 

 

DOMPTEUSE DE L'ECLAIR 

 

En vain l'orage a lancé à tes trousses

Ses poumons électriques

 

En vain la peur de la montagne

A fait trembler tes mousselines

 

Cent mille roses de dégâts

Le grand rocher décapité

La maison fendue jusqu'à l'âtre

 

Mais quand l'orage voulut te toucher

O Claire de clairière

Dompteuse de l'éclair

 

Ton cœur de diamant

L'a mis en fuite de son prisme pur

 

( Multiple-Femme , Caractères 1956 p.36 ) II/308

 

 

 

TU ES LE REGARD

 

Tu es le regard qui m'attend du fond des siècles

La pervenche aux yeux sans paupières

Qui me guette à tout printemps

 

Tu es la pierre qui gît

Sur mon chemin depuis les origines

Toujours toujours tournée vers ma venue

Qui se perd dans le soir

 

L'éternelle vallée

Allongée dans l'attente —

Que la montagne enfin s'effondre dans la gentiane !

 

 

( Multiple-Femme , Caractères 1956 p.37 ) II/308

 

 

 

Multiple Femme II 

 

Multiple Femme

Tu n'es jamais seule avec moi

Dans les ruelles de ton être

Tes mères se rassemblent

Discutant notre amour selon leur loi obscure

 

Comme au marché sur la balance d'astres

Pesant la pourpre de mon sang

Tâtant le tissu de ma chair

Elles te dictent le conseil des vieilles

 

Et ton cœur malgré lui

Applique leurs poids et mesures

Pour jauger mon regard

 

 

(Caractères 1956 p.38 ) II/310

 

 FIN

5 décembre 2008

Recueil Le Char Triompal de l'Antimoine 1949

Le Char triomphal de l’antimoine

             I

LE GRAND ŒUVRE

         A manipuler le mercure

         Mes doigts inhumains devenus

         Transparents et chastement nus

Je méduserai la nature

         Le lion vert est ma monture

         Et pourquoi me bouderais-tu

         Sel démasquant toute vertu

         De ceux que la chair défigure

         Ma main dans la gueule du feu

         Et sur les balances de l'eau

         Mon cœur mordu par l'élément

         Je me dissous alertement

         Revêtu de mon seul halo :

         Naître et n'être qu'insulte à Dieu

                   II

             AZOTH

         Dans l'arbre où chante le pendu

         L'œuf de Saturne choit du nid

         Et roule jusqu'à l'infini

         Brisant les cercles défendus

         Tyran qu'innocemment je sers

         Le métal est un grand dément

         Je le libère imprudemment

         Qui de nous deviendra le cerf ?

         La rose naît du minerai

         Du poisson s'élève l'esprit

         Que j'adore et dévorerai

         O démiurge sans abri

         Le feu d'Egypte me nourrit

         Et le roi rouge m'apparaît

                            III

         

             L'ARBRE SEPHIROTH

         Dix sont les fruits aux bras de l'arbre Séphiroth

Dix  les métaux du corps recelant la Splendeur

Dix  les sels de l'esprit nourriciers de la Fleur

Qui prépare mon âme aux puissances d'Azoth

La pomme du pouvoir rondit en mon cerveau

Et le vin de mon cœur inspire l'Infini

Les yeux de l'émeraude aux yeux de chair unis

Allumeront en moi les fibres du Flambeau

Descendez Séraphins l'escalier vertébral

Où la nèfle du foie et le soufre natal

S'oxyderont un jour pour créer la Beauté

Cèdre de ma Rigueur Arbre de Royauté

Par tes racines monte un alcool jamais bu

Ta Couronne me ceint du suprême attribut

                            IV

                      LE  FOU

Ne narguez pas le Fou

Qui tourne dans vos têtes

Son chien chasse le loup

Malheureux que vous êtes

L'âne à musique

Exaucera vos quêtes

Son délire tabou

Etoilera vos fêtes

Ami du soufre blanc

L'aveugle le voyant

Fait fondre le soleil

L'obscur sage dissout

En plomb le pur vermeil

Et fait d'amants des fous

                           

                            V

                         RAZIEL                                                              

         

         Sur les vingt-deux piliers de l'alphabet hébreu                                    

         Raziel construit de Verbe une immense officine

         Où le mercure chante et l'oiseau se calcine                                 

         Exorcisant la pierre apprivoisant le feu

         Soixante-douze noms de l'innommable dieu                         

         Au langage arrachés : par le quartz qui fulmine      

         De voyelles un prisme et l'oeil de cornaline

         De lumière et de cris quel appel périlleux                         

         " EL " fait-il " ELOHIM " peinant avec la hache

         Avec la fraise avec la diable avec la clé

         Moine de l'antimoine et magicien du blé

         

         Raziel le séducteur flattant ce qui se cache

         Il assigne il épelle il chante de sa tour

         Soixante-douze noms et devra mourir sourd

                            VI

         LE  SEMEUR   D'HEXAGONES

Le tambour du soleil sonne

A mon front de Lucifer

Chaque saison me couronne

Tantôt d'or tantôt de fer

Paysan de l'hexagone

Aux semailles de l'hiver

Neige miel ou belladone

Je cultive l'univers

L'étoile aux six yeux me toise

Des bas-fonds d'une turquoise

Où grésillent mes vieux os

L'eau qui brûle dans les rhombes

Du cristal traverse en trombe

Mes chairs par mille réseaux

                   VII

         TRANSMUTATIONS

         Quelle est la harpe d'azur

         Vive aux abîmes du Hartz

         A mettre un regard si pur

         Aux yeux biseautés du quartz

         La montagne frissonna

         Aux pas des renards charmés

         Dans les prismes des grenats

         Saigne mon œil enfermé

         Nourri des étés de chrome

         Un feu couvé dans ma paume

         Donne naissance à l'oiseau

         Au soufre des passiflores

         Mon sommeil se décolore

         Et mon chant calme les eaux

                   VIII

L'OEUF PHILOSOPHIQUE

La nuit velue ayant pondu

L'œuf de mon crâne - couvaison

Du jaune de ma déraison

Le soleil en mon œil fondu

Bientôt l'oiseau libéré du

Poème oubliant sa prison

Fait bondir les quatre horizons

Mon cœur n'est plus qu'un résidu

Plumage-prisme aux sept couleurs

Ame allumée aux sept douleurs

Tout être se transfigurant

Echappe à sa mesure d'oeuf

Vers l'univers surgi tout neuf

Hors de la coque du néant

                        IX

LA  ROSE  DES  ROSES

Rose de chair grise en ma tête

Rose-roue au moyeu des âges

Rose des vents et des tempêtes

Tournez tournez pour mon outrage

Rose à lots des mauvaises têtes

Rose noire des charbonnages

Rose-œil des forêts désuètes

Rose-astre enceinte de présages

Rose saadi rose sadique

Rose humaine des Olympiques

Rose-eau dansant sur son écho

O miracle qu'une rose ose

S'ouvrir sous mon regard d'hypnose

Ma racine de Jéricho

            X

                   LE 

Dé ! démence du dieu

En son cube incubé

Avant qu'il soit tombé

Cœur calme au noir milieu

De ses vingt-et-un yeux

Hublots illuminés

Dardant les condamnés

Il chiffre leurs enjeux

1 verbe solitaire

2 noce des contraires

3 règle et nombre d'or

4 dieu mis en cage

5 main d'ambre du mage

6 lasso de la mort

                   XI

         LA  FILLE  CHASTE  D'HÉRACLITE

         Figuier de feu ! Rosier d'ÉPHÈSE

         La  fille  chaste  d'Héraclite

         Une comète en chaque orbite

         S'érige en monument de braise

         Masque maudit de la fournaise

         Tes seins soleils roussis s'effritent

         Tes oiseaux attachés s'agitent

         Guêpier de feu que rien n'apaise

         Fourmis de feu dans tes fourrures

         Chiens de feu riant aux morsures

         Malheur aux beautés ioniennes

         Harpe de cendre ! Mandoline

         De feu ! Musique à jamais tienne !

         En toi tout pense et te calcine !

             XII

         LILITH

Lasse de ta lourde origine

Vaine quêteuse de l'oubli

Lilith a fui le double lit

Ah volupté d'être androgyne

Ah délice du pur délit

Quand sur ton coursier qui s'échine

Ton unique sein se calcine

Haletant devant l'hallali

Dans les broussailles du désir

L'abîme devenant abri

Impatiente d'en finir

Tombeau du chaste colibri

Ton cœur délirant de gémir

Enfante le mal de l'esprit

           XIII

     MEMNON

Pierre tu vengeras la pierre

Scellée en un néfaste Non

Perpétuel ô pur Memnon

De ta souffrance lapidaire

Captif une main de lumière

Vient te frapper d'un double son

Quand l'aurore surgit de son

Abyssale et morne tanière

Ébranle-toi grave statue

Plus puissante de t'être tue

Dans ta matrice souterraine

Ton granit suant un sang rose

Accepte sa métempsychose

Guitare d'or à voix humaine

                     XIV

ARMOIRIES DE LA PAROLE

Les mots sont les luisantes haches

Pour creuser le puits d'une plaie

Et répandre le sang qu'on sache

Convoité par les roseraies

Un mot jeté dans la balance

Fait déborder le lac qui stagne

Le fléau devient une lance

Et fait s'écrouler la montagne

Sous l'aile immanente de l'aigle

Aveugle je ne m'approprie

Que par le chant l'âme du seigle

Cent soleils dans ma panoplie

Mais les barreaux de l'écriture

M'ouvrent les bans de la nature

                  XV

CHANSON DE PARACELSE

Avec le sang de l'ellébore

J'ai guéri la démence

Il faut cueillir la mandragore

Au pied de la potence

Les pendus versent leur semence

Pour pervertir l'aurore

La lune donnera naissance

Au prince de phosphore

Du lac gelé de l'émeraude

Jaillit un regard qui corrode

Ma vérité de léopard

Que nul tyran ne m'inféode

Etends sur moi ta main Vieillard

Impénétrable du Zohar

         LE CHAR TRIOMPHAL DE L'ANTIMOINE

Editions Hémisphères, Paris 1949

5 décembre 2008

Recueil Les Géorgiques Parisiennes 1951

      1951 Les Géorgiques Parisiennes

      Je te chanterai dans les jardins de zinc

      PARIS

Je te chanterai dans les jardins de zinc

Dans les allées de l'épouvante

Dans les cultures en plein vent

Où sont plantées les pipes des sorcières

Sous le vent salé de la mer

Je te chante ma ville imaginaire

Racines retournées totems livides

Les monuments de l'oubli perennial

Vieillesse : enfin viendront les vignerons

Et les enfants d'avant la damnation

Grappiller les ceps de sépultures

Et bouillir dans les pluies de l'angoisse

Le marc noir de la folie

O terrasses de rêve et d'algèbre

Où des kobolds jouent de la flûte rouillée

Au bal des chiffres sous la tente des vents

Se module la mort violette

Qui porte un nom de fleur

( Les Géorgiques Parisiennes p.9) IV/503

      O Paris bucolique

Souterrain Bucolique

O Paris bucolique

Cité lacustre

Ne m'offrirais-tu qu'un mur

Un mur croupi dans tes  salpêtrières

J'y soignerai les bouillons de culture

Les soleils souterrains d'une immaculée conception

Sels ! Levures ! Hydrates ! Cendres de ma jeunesse

Dans une forêt de noce sauvage

Dans un enfantement de feuilles

Naît le dragon de fer vif et de fleurs frisées

J'y cueille enfin le magnolia de magnésium

La lune flétrie depuis trop de mois

Au cœur des amants malfaisants

Et dans les caves du sommeil givré

Aux bougies de colchiques

Je fais surgir du sable et du néant

L'armée tondue des champignons

De vrais champignons de Paris

Les Géorgiques Parisiennes 1951 p.10 :     IV/504

      Ah je marche dans cet orage de sépales

ORAGE DE SEPALES

Ah je marche dans cet orage de sépales

Dans les traînes de mariées qu'on conduit à l'abattoir

La couronne de groseilles me sied paraît-il

O servitude mauve et rose

Sous le règne des étamines en nombre

Une vallée toute d'innocence

S'est installée dans un creux de Paris

Tout près de la Tour de Justice et de Misère

Au bord de l'eau carapacée

J'ai vu dans la montagne sévère

Immigrer l'hirondelle qui hiverne au fond des miroirs

Mais où l'inceste des jacinthes n'a pas de juge à pourpre

Sauf la rouille du lendemain

Le lent désir de l'homme prend forme de géranium

Un immeuble de trois cents coeurs

( Dont l'étoffe de laine sent fort l'honnêteté )

Nous le meublerons de folies d'églantiers

Toute chair est comme l'herbe

Ou le cerfeuil scabreux

Ou le fenouil aux effervescences du jeudi

Quand le pluvier frôlait les frisons en bordure

Qu'importe l'émotion des hommes

La justice tremblante lave ses tours

Dans l'eau rousse de la Seine

Un vent de mer passe sur la Cour d'Assises

(Les Géorgiques Parisiennes p.11)   IV/504

      Séducteurs de la Grève !

Juillet Rouge

Séducteurs de la Grève ! Cultivateurs de la Concorde

Tous ceux qui ont semé le blé de la liberté

Dans un sol irrigué par les eaux d'amour

Célébreront de fières moissons

Et même si les paupières sanglantes des pavés

Et les cocardes ne peuvent plus se fermer

L'épi du peuple

Gardera toujours sa valeur d'orage

Et des faubourgs descendront les vierges élues

Berçant des gerbes

Pour s'exercer dans leur métier de mères

Juillet tu as toujours repeint au minium

Les corolles bourdonnantes des panthéons

Le peuple réclame les bijoux de son héritage

Et porte ses blessés sur les Ponts où les décorera

La Rose au pouvoir

(Les Géorgiques Parisiennes p.12)   IV/505

      Un champ de pluie émane des bitumes

Un champ de pluie émane des bitumes                                        ( 2 ème version ) IV/506

Les perce-pluies aux tendres tiges pendant des nuages

Eclatent et lancent leurs semences [de mer]

Une mandoline de pluie

Qu'on peigne dans les gouttières

Et les fruits de pluie qui s'entrouvrent

Les œufs de pluie pondus par des viviers aériens

Jardins ! Jardins de ma tristesse [mon ivresse]

Mon cœur fougère verse ses sporanges

Au pur [dur] métier de l'amitié

Ces [Les] trombones de pluie avalant le vent

Ces géants remontant de leurs morgues dégelées     [Ici remontent les géants de leurs morgues dégelées]

Par les cheveux de pluie       

Par les racines de pluie         

M'attire la terre

Atteint du mal de pluie          Dans ma cage de pluie

Je pleure je pleure                  Je Hurle Je Hurle

                                                Fauve malade de lichens

Et quand donc viendras-tu dormir, petite pluie ? Et quand donc viendras-tu dormir petite pluie ?

Et quand donc voudras-tu sécher, petite larme         ( 2 ème version )                   IV/506

(Les Géorgiques Parisiennes p.13)   IV/506

      Paris plus pastorale que les grandes étendues

      SAINT-EUSTACHE

Paris plus pastorale que les grandes étendues de phlox

Que les forêts mélangées de verts nocturnes et diurnes

Paris de mousse de fougère et de hêtres

Avec les ombres précoces de châtaigneraies

Et ces bouquets de brouillard rose

Paris comptoir des viandes et des fleurs

Ecartelé au carrefour Saint-Eustache

Entre la Bête et le Christ

La Maison rouge et la nef de nacre

Gibier sans Actéon Chapelle : meublé d'un Dieu

O champs de mou                   Agneau mystique

Rognons Glycines                  Oreille de la Grâce

Têtes de veaux fous          Anges-pleureurs

Fraise de bœufs                Ailes et nimbes d'or

Cris de Sioux                    Sacré Cœur

Des quatre saisons                  Adieux viatiques

Paris Jardin choisi par les colombes mauves

Où les chiens de la Saint-Médard vont boire au ruisseau du matin

Où les bouquets d'écrevisses

Font frissonner les femmes du peuple

Et vers le ciel de neige noire

Un mimosa allume mille étoiles

(Les Géorgiques Parisiennes p.14)   IV/507

      Fleurs-chats! Fleurs animales

Fleurs-chats! Fleurs animales

Nées d'un soubresaut : fleurs-express

Jaillies de la fenêtre ultra-monde

Eclipses d'un hiver Feux-follets des décombres

Pyrotechnies allumées dans le rêve

Viverrins de la rue du Chat-qui-pêche

      Fleurs chinées Fleurs-pards

      Servals des brousses de Paris

Fleurs ambulantes

                        sans tige ni racine

Vous chantez dans les bras d'enfants

Vous brûlez

                  orchidées tragiques

Dans les chevelures du peuple

Chats-harets plus inhumains que les totems

Chats-phares chats-pharaons

Régnant dans une horlogerie

                                    sans bouleverser le temps

Et pourtant le triangle de vos têtes a moins de pitié

      que celui du jaguar

Et les topazes de vos yeux où couve un feu central

Et vos masques de pensées sont plus dangereux

Pour la sûreté de l'Etat

Que les lanternes carnivores

                                    sur la Place de Minuit

(Les Géorgiques Parisiennes p.15)          IV/508

      

      

      

      Chien de ma chair   

CHIEN DE JOIE

Chien de ma chair 

Chien à la gueule de roses noires

Et au pelage de fenouil

Prête à ma main ta fourrure

Ma flibuste de flammes

Chien ma seule chaleur parmi le froid des hommes

Mon buisson trépignant

La voix de mon dernier dieu sort de tes gorges

O voix du puits thermal

Que depuis Pythie je n'entendais plus

Que nulle grammaire nul Thucydide nul râle de tambour

Ne faisait frémir dans mon oreille

Enfin je redeviens le centre de quelque chose

Le centre de ton cercle de bienveillance

Pour me guérir des cercles de l'alcyon

Et de celui de l'Uranus autour de l'Obélisque

Mon chien de joie

Fleur de tonnerre

Fauve de la fraternité

(Les Géorgiques Parisiennes p.16) IV/508

      N'avoir été qu'un thalle 

HELANT LE SOIR

N'avoir été qu'un thalle   

Au masque prévoyant de chlorophylle

Thalle porteur de fruit comme les marbres de pensée

Et de mon chant pulvérulent

Hélant le soir

Je bénirai les arbres qui vieillissent patiemment

Près des fontaines sensuelles

Je penserai à l'ulve laitue

La danseuse des mers qui porte œil rouge

Et de ses quatre fouets fera hennir les chevaux de Marly

Un jour de marée

Poussière consentante

Près des atomes pompéiens des Tuileries

J'aurai mon air couleur orange

Moi aussi

Vivant de Paris

(Les Géorgiques Parisiennes p.17) IV/509

      Dans les léproseries des roseraies

         NUIT DE LAVE

Dans les léproseries des roseraies

Revêtons la pourpre des fièvres

Tous promus à la gloire des douleurs

Ah dans la pourriture de roses

Laver la face de l'homme

Tout en sachant que l'asphodèle croîtra toujours

Au bord des sommeils

Sur une barque d'iode

Sous une lune de fer

Atteindre les banquises lucides

(Les Géorgiques Parisiennes p.18)         IV/510

      Une rose humaine

NAISSANCE

Une rose humaine

Encore frisée froissée du sommeil originel

Et déjà préparant l'arène pour le grand crime de vivre

Une rose humaine

Un œil de larmes qui s'ouvre sur le monde

De pétale en pétale s'enivrant du jeu mortel

D'oreille en oreille de rose

Se chuchotant la présence d'abeilles

Voici la mandibule au centre de la panoplie

Et le miel appelant son colibri

Rose ou chardon fait de visages qui se fripent ?

Ou vagin râpé par les orages

Rose à pistils

La bouche pleine d'un rire carié

(Les Géorgiques Parisiennes p.19)   IV/510

      L'épinoche dans son eau crédule

ARCHITECTE MARIN

L'épinoche dans son eau crédule

Qui descend jusqu'à Notre-Dame

L'épinoche se construit un nid d'algues

Dans l'eau courante de notre cœur

Avec l'aiguille verte de son corps

Il coud les murs de sa maison

Et devient bleu et or et rouge de bonheur

Dévorant des viandes nocturnes

(Les Géorgiques Parisiennes p.20)   IV/511

      Paris sous sa pluie fine   

L'OISEAU FLEURIT

Paris sous sa pluie fine sous ses surplis de bruines 

Comme une pièce montée

A la devanture du siècle

Le sculpteur qui tailla le chêne dans la pierre

Toute une panoplie de fleurs

Aux armes de la liberté

L'oiseau Roc chante en son nid de Saint-Roch

A l'intérieur de cet oiseau

Monte le grain de l'orage

Et quelqu'un portera avant la fin de cet été

Les dahlias de la révolte

(Les Géorgiques Parisiennes p.21)   IV/511

      Mais qui de nous échappera au châtiment

LES   HALLES

Mais qui de nous échappera au châtiment de ce vieillard

Qui ramasse les têtes de dorades

Comme de gros cailloux de jade

Ce sont hélas cailloux légers de calcium et d'effroi

Où la vision de l'œil accusateur

S'est arrêtée sur toi témoin d'infortune

Avertissant l'œil frère

Mangeras-tu la chair de nacre

Et joueras-tu avec la bille d'ivoire

Clandestinement contre tous les regards du ciel

Et qui de nous évitera d'être ce géant

Qui ploie sous les paniers de fraises et de frayeur

Déjà la cervelle trouée

Par les mille fléchettes d'or

Dans la géométrie des fanes

Calculerai-je la gravité du liseron

Au rendement des cornes d'abondance ?

Braconnier des cressonnières

Je suis ce musicien couvert de grelots d'escargots

Dans les marais d'épiphanies de carnaval

Les lampes de magie brûlaient

J'en reviens la cornée flambée à l'alcool des colchiques

(Les Géorgiques Parisiennes p.22)   IV/512

      Le coq                                                Variantes

Le coq de feu le premier coq

Dénonçant le sommeil de mort

Arrache à la lune son masque

Un petit coq de Paris                               Un petit coq de la montagne

Recélé dans l'ouate d'une cour                Criant d'amour saignant d'amour

Il a des armes pour aimer

Plumage métallique épées

Sabres grenats

Il a des fleurs

Et des chansons pour la victoire

Il savait avant Héraclite

L'esprit du feu et la colère

Du soleil que nous ignorons

Son œil plus rouge que Saturne

Tourne plus vite que nos coeurs

O coq de flamme ! O feu de coq             O coq de feu ! O feu de coq !

Brûle nos rêves arbitraires

Dans les cendres du souvenir

Premier tu gobes le soleil

Et par le travail de la poule

Nous le rends dans un billion d'œufs.

(Les Géorgiques Parisiennes p.23)                                              IV/513

      A la Tour Eiffel

A la Tour Eiffel

Flûte d'airain

Dont joue un ange joufflu

Assis sur les marches du crépuscule

Ton chant attire les oiseaux

De derrière le ciel

Te prennent-ils pour le peuplier suprême

Qui sera l'abri de la peur ?

Dompteur de la foudre

Tu apprivoises les serpents roux

Qui s'enroulent autour de ton corps

Tandis que le soleil et la lune

Tes satellites

Tournent sans t'approcher

Dans un amour inépuisable .

(Les Géorgiques Parisiennes p.24)          IV/514

GEORGIQUE  NATIONALE

Les Vierges de Clichy drapées dans des chansons portent des gerbes de lilas

En descendant vers Paris qui bivouaque

A la Concorde dans les marais de la pluie

Mais il ne leur faut qu'un brin d'armoise

Pour diadème et dans l'herbier sauvage

L'amoureux reconnaît leur fin pouvoir

Un lâcher de corbeaux s'échappe des cloches

Dans toutes directions et déchausse déjà les pierres

Pour la future insurrection

Puis nous n'attendrons plus quelque juillet caduc

Pour enraciner dans le ciel les arbres du déluge

Dans les charniers de Saint-Paul

Le lancement de coeurs corrosifs

Dans la nuit clandestine

Les Géorgiques nationales sont imprimées

Sur les matrices de la Seine en feu

(Les Géorgiques Parisiennes p.25)

à rapprocher de

Les Bucoliques de Paris inédit de Saint-Dié  IV/514

Les Vierges de Marly pour s'exercer à être mères portent des gerbes de lilas

En descendant vers Paris qui bivouaque

Sur pilotis de la Concorde dans les marais de la pluie

Mais il ne leur faut qu'un brin de cerfeuil

Pour diadème et dans l'herbier sauvage

L'amoureux reconnaît leur fin pouvoir

Un lâcher de corbeaux mauves s'échappe des cloches

Dans toutes directions et déchausse déjà les pierres

Pour la future insurrection

Puis nous n'attendrons plus quelque juillet caduc

Pour enraciner dans le ciel les arbres du déluge

Dans les charniers de Saint-Paul

Le lancement de coeurs corrosifs

Le peuple réclame les bijoux de l'héritage

Il porte ses malades sur les ponts où les décorera

La Rose d'honneur

Dans la nuit clandestine

Les Géorgiques nationales sont imprimées

Sur les matrices de la Seine en feu

grosses variantes dans cet inédit de Saint-Dié IV/514

à rapprocher de GEORGIQUE  NATIONALE (Les Géorgiques Parisiennes p.25)

      Le pêcheur de la Seine

Je ne pêche pas la carpe

Mais la vague aux hanches souples

Qui enfante l'univers

La tanche migratrice

Verse ses oeufs dans l'arc-en-ciel

La flèche du pluvier

Traverse le rocher de Notre-Dame

Pour atteindre l'Ouest

Et je n'ai pas changé depuis le temps du renne

Ma barbe d'algue flotte aux branches du saule

Mon crâne est plus poli que les cailloux volants

Entre les règnes absolus

Ma brume

Dure

Au fil de l'eau

Coupé en deux et double

La tête en bas et les pieds foulant les nuages

Péchais-je le brochet ou l'hirondelle ?

Oh je ne pêche que mon coeur

Tombé aux charmantes ténèbres

Au service des désirs

Et des réverbérations

L'ami des poissons-plumes

De temps en temps je tue la mouche bleue

Et je demande à l'herbe occulte

Le pur pardon

Les Géorgiques Parisiennes , Pierre Seghers 1951, p.26  IV 515/516

      Que discutent là-bas les voix des lavandières

Quai aux rêves

Que discutent là-bas les voix des lavandières

Dont les seins-nénuphars

Bombent l'organdi des vagues

Dans le lit défait du fleuve ?

Les péniches passent lentement sur leur image

Portant le charbon la farine

Le blanc le noir le pour le contre

Vers le néant de l'univers

La blonde marinière chante

En préparant sa matelote :

      « Passe la goélette au goélands

      La balançoire entre hier et demain

      Entre les rives irréelles

      Vers l'outre-mer »

Derrière-moi s'écoule le quai de l'horloge

S'écroulent tous les palais de justice

Aux corbeilles fleuries

S'allument les chardons de sang

Et face à l'univers je tourne le dos à Paris

Mon visage chavire

Tandis que mon ombre embrasse le mythe

En poupe d'un chaland belge la sirène chante :

      «  A la dérive

      Entre le désir et l'oubli

      Mon cœur descend

      Le fleuve incandescend »

Mais le vieux fleuve ventriloque

Qui connaît les cercles de l'eau comme les cercles des hérons

Et dont la rive gauche

Ignore encore ce que fait la droite

Me demande de sa voix fauve :

« Pêcheur : Que pêches-tu sans hameçon à ta ligne ?»

Ce que je pêche c'est mon ombre

L'hirondelle des eaux l'anguille des étoiles

Ecorché vif le fer dans l'âme

Je chante je pêche.

(Les Géorgiques Parisiennes p.27/28) IV/516-517

      O rue de Joie !   

Vénus fluviale

O rue de Joie ! Rivière de hanches et de vagues

Emporte, emporte-moi vers le vieux souvenir

Qui a sa source dans les montagnes

O vague toujours là et toujours en allée

Présence menaçante

Du Nocher des enfers

O vague multi-tête ! Saisirai-je ta toison

Comme Persée dans un miroir

Que tes anguilles ne peuvent mordre ?

Je sais que tu n'es pas et tes mille yeux m'aguichent

Amandes d'eau au parfum de pistache

Yoles cers l'infini

Femme que j'adorais : je m'en souviens

Dans le lit de l'Euphrate et du Mississippi

Partout partout où l'homme est sans berceau

Dans les osiers de tes cheveux

Ma jeune mère tricotait comme toi sur le quai des oublis

Maille après maille perdant combien

Et reprenant tout le chandail d'une vie

Emporte-moi ! Emporte-moi ! Vague héraldique

Du fleuve qui s'en va malgré lui

O vague innocente et combien pernicieuse

Ma sœur aux yeux de vitre

Qui prends de tous les feux et ne brûles jamais

Femme-vague entrevue

Dans les porte-tambours qui tournent sans retour

Oui ma mère était comme toi

Tricotant le filet de tous les jours

Jusqu'au soir unique de la mort

Où toutes les mailles s'en vont

Sous un seul mot d'ordre du nord

(Les Géorgiques Parisiennes p.29) IV/517

      Chanson de la Galère Paris

Vogue galère

Sur le Parvis

De Notre-Dame

De Paris

Bateau de France

Courrier d'oubli

Toujours en partance

Jamais parti

Ton capitaine

Ganté de noir

Descend la Seine

Vers le grand soir

Les deux couleurs

Au pavillon

Le bleu Voltaire

Le rouge Villon

Haut dans les voiles

Perchent des nids

Mais dans les cales

Nos lourds soucis

Descends pour voir

Toute la ville

Le long des rives

Partir l'espoir

Derrière les rives

Les tours penchées

Les tours pensives

Tout ébréchées

Sur les collines

Les panthéons

Portant des signes

Peints au néon

Que viennent faire

Ces passagers

Sur la galère

Des naufragés  ?

Ces rois de Pique

Ces dames de Cœur

Ces ébénistes

Ces ramoneurs

Noces massacrées

Couronnements

Amours sacrés

Fusillements

Mais la sirène

Assise en proue

Lave à la Seine

Ses cheveux roux

Descends la Seine

Le long des quais

Le long des frênes

Des ponts arqués

Descends Galère

Via Rouen

Vers l'estuaire

Vers le néant

(Les Géorgiques Parisiennes p.31 à 33 ) IV/64

5 décembre 2008

Recueil Elégie de Lackawanna

Recueil Elégie de Lackawanna           dans  Die Lyric IV/215

    Amérique

Amérique

Les langues de tes fleuves brûlent de soif

Amérique

Les houilles de tes montagnes sont folles de soleil

Amérique

Les bras des séquoias appellent la pitié des orages

Amérique Amérique

Le tambour de ton cœur

Croque ses propres os

Les yeux de tes horloges

Tournent à rebours vers le passé

Et l'Indienne debout sur son promontoire friable

Tourne vers toi son regard lourd de bitume

Sa tête de mercure et d'orange se rétrécit à peine

Ses petits seins se laissent ronger par les fourmis blanches

Elle peint dans le sable

L'oracle que le soir emportera

Le serpent à sonnettes entre ses dents

Elle conjure le fantôme blanc

Emmuré dans sa Kiva de haine

page 9

Un frisson de plumes plantées dans le roseau vertébral

Agite ton corps de cendre, Amérique

Une épine est fichée dans ton front crépusculaire

Une épine est semée dans les champs de chanvre

Une épine est vissée dans le talon de tes danseuses

Amérique prends garde à ton passé

Car la colère mûrit ses fruits de feu

Dans les vergers appalachiens

Et la roseraie de tes névroses

Prépare un incendie total

page 10 Elégie de Lackawanna Librairie Saint-Germain-des-Prés - 1973

Lackawanna

Lackawanna Ihpétonga

page 11, Elégie de Lackawanna, Librairie Saint-Germain-des-Prés - 1973

Et tous tes lézards

Et tous tes lézards

page 12, Elégie de Lackawanna  Librairie Saint-Germain-des-Prés - 1973

Ici se tint l'Indienne rouge: la femme-blé  IV/228

pages 13/14, Elégie de Lackawanna Librairie Saint-Germain-des-Prés - 1973

Les yeux de l'Indienne sont les épines IV/229

page 15, Elégie de Lackawanna Librairie Saint-Germain-des-Prés - 1973

Hosanna Lackawanna        IV/227

page 16, Elégie de Lackawanna Librairie Saint-Germain-des-Prés - 1973

Amérique aux yeux de mercure et d'oranges

Amérique au crâne empli de fourmis et de comètes rouges

Amérique qui cours et qui n'habites

Que des villes défaillantes sur les dunes

Halte ! Halte ! sur les boomerangs de tes highways

Halte ! devant tes totems d'essence

Dont les yeux de tabac et de pétrole

Clignent sous la dune d'anis

Halte ! te dis-je , car dans ton dos cavale l'avenir

Et le regard sacrificateur de l'Indien

Fait tourner à l'envers les roues de ton soleil

Les roues rutilantes de tes iris ferrugineux

Et les dollars de ton chariot roulant à l'infini

Amérique prends garde aux venins verts du lierre indien

Aux plumes de coqs déjà plantées dans ton échine

Prends garde au triangle de l'oiseau nickelé

J'entends tes fleuves frapper leurs écailles de cuivre

Et les oreilles de tes moules emplies

Du suicide éternel des eaux et de la créature

page 17, Elégie de Lackawanna Librairie Saint-Germain-des-Prés - 1973

L'épine est enfoncée dans le tronc

L'épine est semée dans les champs de chanvre

L'épine est bien vissée dans la tempe de ta danseuse

Amérique prends garde à ton passé

La colère mûrit dans les entrailles appalachiennes

Le fruit de feu s'arrondit dans tes ovaires

La roseraie de tes névroses couve des incendies féeriques

Amérique prends garde à tes printemps

Amérique prends garde à tes automnes

Où les foies de vea     u infra-rouges pourrissent

A chaque branche de tes érables

Et la charogne de tes gibiers envahit tes boucheries

Dans l'alcool des minerais fermente déjà ta folie

Et les crampes de soufre assaillent tes muscles râblés

Dans les Rockies se désagrègent les châteaux de la fée indienne

Chaque once de plomb enceinte d'un Baal futur

Tandis que la jaunisse de la pechblende

Corrompt la rate enflée des dieux

Halte ! Halte ! Amérique Amérique

Aux plages scintillantes d'œufs roses et bleus

Exhibe sur les planches brûlantes du show boat

Les douleurs du vieil homme Fleuve

Quand la liqueur de nostalgie cligne de ses yeux verts

A tous les carrefours des eaux

page 18, Elégie de Lackawanna Librairie Saint-Germain-des-Prés - 1973

Amérique fraîche comme le lait

Aux fleuves tout neufs bien que nés d'entrailles immémoriales

Avec tes maladies de foie dans l'Appalache

Et tes jets de pétrole plus merveilleux que Versailles

Je baigne mon âme ancienne dans le Mississippi

Et je lave mes mains tremblantes

Dans les allées vertes de l'Ohio

Tout planteur de Kansas ne se sent-il pas un pharaon

Et l'ingénieur sur son jaguar de fer

Désarçonne les montagnes

page 19, Elégie de Lackawanna Librairie Saint-Germain-des-Prés - 1973

      Lackawanna ! chantent les goélands [1. Version]     IV/230

      page 20, Elégie de Lackawanna Librairie Saint-Germain-des-Prés - 1973

      Lackawanna! chantent les goélands [2. version] IV/231

      page 21, Elégie de Lackawanna Librairie Saint-Germain-des-Prés - 1973

      Le long du fleuve plombé      IV/234

      page 22, Elégie de Lackawanna Librairie Saint-Germain-des-Prés - 1973

      L’arrivée au Fleuve       IV/233

      Indifférents nous regardons passer le fleuve  IV/235

      page 23/24, Elégie de Lackawanna Librairie Saint-Germain-des-Prés - 1973

      Assis au bord du fleuve   IV/236

      page 25, Elégie de Lackawanna Librairie Saint-Germain-des-Prés - 1973

      Descends ma rivière nue / Entre les rives IV/239

      page 26/27, Elégie de Lackawanna Librairie Saint-Germain-des-Prés - 1973

      Il passe, le Fleuve, l'ombre-chevalier  IV/240

      page 29/30, Elégie de Lackawanna Librairie Saint-Germain-des-Prés - 1973

      Ceci est un temps où les hommes meurent         IV/248

      page 31, Elégie de Lackawanna Librairie Saint-Germain-des-Prés - 1973

      Les routes nationales bandaient vers l'amour  IV/249

      page 32, Elégie de Lackawanna Librairie Saint-Germain-des-Prés - 1973

      Lackawanna Mannahatta / Ville submergée IV/226

      page 33, Elégie de Lackawanna Librairie Saint-Germain-des-Prés - 1973

       Ecoute ces hommes qui parlent dans la nuit sourde 

      page 34, Elégie de Lackawanna Librairie Saint-Germain-des-Prés - 1973

      Va-t-en serpent d'éternité 

      page 35, Elégie de Lackawanna Librairie Saint-Germain-des-Prés - 1973

      Finalement je marchande après la tempête   IV/248

      page 36, Elégie de Lackawanna Librairie Saint-Germain-des-Prés - 1973

      La barque de Charon atterrit à Fulton Market 

      page 37, Elégie de Lackawanna Librairie Saint-Germain-des-Prés - 1973

      Harlem River  IV/256

      page 3839, Elégie de Lackawanna Librairie Saint-Germain-des-Prés - 1973

      Memnon-Woolworth       IV/257

      page 40/41, Elégie de Lackawanna Librairie Saint-Germain-des-Prés - 1973

      Mannahatta / ton soleil tombe à la mer

      page 42, Elégie de Lackawanna Librairie Saint-Germain-des-Prés - 1973

      J'observe le travail nocturne du fleuve           IV/263

      page 43, Elégie de Lackawanna Librairie Saint-Germain-des-Prés - 1973

      J'attends les voiliers qui m'apporteront l'épice  IV/261

      page 44, Elégie de Lackawanna Librairie Saint-Germain-des-Prés - 1973

      Le long des rives les bateaux mugissent       IV/262

      page 45, Elégie de Lackawanna Librairie Saint-Germain-des-Prés - 1973

      Navire de ma vie, avec l'or de tes têtes          IV/264

      page 46, Elégie de Lackawanna Librairie Saint-Germain-des-Prés - 1973

      Où ces bateaux emportent-ils tout notre silence ?    IV/263

      page 47, Elégie de Lackawanna Librairie Saint-Germain-des-Prés - 1973

      Le dernier Fleuve s'en va vers la désolation       IV/247

      page 48, Elégie de Lackawanna Librairie Saint-Germain-des-Prés - 1973

      J'ai passé ma vie sur les Ponts     IV/265

      page 49, Elégie de Lackawanna Librairie Saint-Germain-des-Prés - 1973

      Pourtant traverseras traverseras-tu le Pont  IV/270

      page 50, Elégie de Lackawanna Librairie Saint-Germain-des-Prés - 1973

      Tout pont qui monte est un pont qui descend  IV/271

      page 51, Elégie de Lackawanna Librairie Saint-Germain-des-Prés - 1973

      Traverseras-tu le pont      IV/270

      page 52/53, Elégie de Lackawanna Librairie Saint-Germain-des-Prés - 1973

      Le cortège des aurores descend vers moi      IV/274

      page 54, Elégie de Lackawanna Librairie Saint-Germain-des-Prés - 1973

      Passe passe l'heure du passeur [2. Version]  IV/275

      page 55, Elégie de Lackawanna Librairie Saint-Germain-des-Prés - 1973

      Vois ces dentelles d'écume en charpie        IV/276

      page 56, Elégie de Lackawanna Librairie Saint-Germain-des-Prés - 1973

      Jeune vague quelle est ta vérité : IV/273

      page 57/58, Elégie de Lackawanna Librairie Saint-Germain-des-Prés - 1973

      Statues de sel ou de sable   IV/280

      page 59, Elégie de Lackawanna Librairie Saint-Germain-des-Prés - 1973

      O palais de Bagdad    IV/280

      page 60, Elégie de Lackawanna Librairie Saint-Germain-des-Prés - 1973

      Mais combien de fenêtres sur la rive      IV/282

      page 61, Elégie de Lackawanna Librairie Saint-Germain-des-Prés - 1973

      Mais après le banquet du promontoire  IV/281

      page 62, Elégie de Lackawanna Librairie Saint-Germain-des-Prés - 1973

      Comment est-ce que dans ce nouveau soleil     IV/283

      page 63, Elégie de Lackawanna Librairie Saint-Germain-des-Prés - 1973

      Vultures! Vultures! clame la rive tragique   IV/283

      page 64, Elégie de Lackawanna Librairie Saint-Germain-des-Prés - 1973

Le Nageur crucifié                  IV/238

Nous qui vivons au jour le jour

A la chanson la chanson

Les gouttes de sang de la rose

A notre chapeau fripé

Marquent la route de notre destin

Et tu t'en vas toujours mon fleuve

Et tout part avec toi

Mon balcon de Grenade et ma Tour des Vents d'Athènes

Mes amours et mes masques

Tout descend avec toi vers l'estuaire d'or

Où Thanatos nous attend de son songe mortel

Je fus le roi couvert d'hermines et le gueux de brouillard

Sur tes rives latentes

J'ai versé le vin blanc et brisé le pain noir

Des journées bénévoles

Pourtant rien ne m'appartenait

Rien ne m'appartenait : ni l'herbe de mon pré

Ni l'arbre de mes os

Ni le bœuf éternel dont je grillais le muscle

Mais j'ai régné  j'ai ri

Et déplacé tes eaux en nageur crucifié

Va-t'en donc Va-t'en donc mon fleuve impénétré

Drapé dans tes musiques noires .

( Dire Alsacien N° 16 - Automne/Hiver 1971)

page 65, Elégie de Lackawanna Librairie Saint-Germain-des-Prés - 1973

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5 décembre 2008

Recueil Deuxième livre de Jean sans Terre 1937

      Recueil Deuxième Livre de Jean sans Terre. 1938                                  

      1) La Chanson de Jean sans Lune

Au clair de la lune

Jean est sans clarté

Il se traîne d'une

A l'autre cité

Toujours solitaire

Ivre d'infini

Il parcourt la terre

Eternel banni

Tous les êtres dorment

Couples enlacés

Sous le chloroforme

D'un songe insensé

La lune illumine

Cours et corridors

Portes de platine

Et fenêtres d'or

Sur les toits de tuiles

Dans le fonds des coeurs

L'astre verse l'huile

D'extrême langueur

Oh ! même les grilles

Autour des prisons

Du crime scintillent

Comme des tisons

Seul Jean marche marche

Vêtu de brouillard

Ne trouvant que l'arche

D'un pont pour rempart

Toute sa jeunesse

Il a trop voulu

Goûter à l'ivresse

D'un pur absolu

Tendu vers l'extrême

Toujours aboli

Il oublia même

De dresser un lit

Le ciel tout en fête

Tourne comme un fou

Les belles planètes

Ont mis leurs bijoux

Mais Jean ne s'arrête

Plus pour voir le bal

Il baisse la tête

Les pieds lui font mal

Mâchant sa rancune

Et soudain vieilli

Pauvre Jean sans Lune

Sombre dans la nuit

(Deuxième livre de JsT p.9 à 12)     

      2) Jean sans Terre Fabricant de Nuit

[Matière première

[Qu'est l'opaque nuit

[Jean sait en extraire

[D'âpres sous-produits

La nuit d'anthracite

A des gisements

De sels et de mythes

Et d'enchantements

La mine profonde

Qui jusqu'à l'éther

Se prolonge et sonde

Les halls de l'enfer

Cache un or lyrique

Et fluorescent

Dont l'homme fabrique

La plainte du sang

Il a des usines

Pour broyer le soir

Et cette farine

Le nourrit d'espoir

Ses manufactures

Au flanc de l'Etna

Tissent l'ombre obscure

De son nirvana

Des moulins de fièvre

Tournent doucement

Pour moudre le rêve

Des derniers amants

Il faut mille tonnes

De nuit blanche pour

Que la fonte donne

Un gramme d'amour

Avec de la lie

De lune il produit

La mélancolie

Du pauvre aujourd'hui

Aux vignes orange

Des coteaux d'Algol

L'automne vendange

Un nouvel alcool

Dès qu'un météore

Choit du firmament

Les champs de phosphore

Brûlent brusquement

Mais la neige noire

Tombant sur nos coeurs

Il la faudra boire

Mortelle liqueur

Les monts de la houille

Parthénons athées

Livrent la dépouille

De cent Prométhées

Recueillant l'urine

D'armées de mammouths

D'ivres pipelines

Charrient le mazout

[Des plus hautes cimes

[Du vieil Uranus

[Court le vent du crime

[Sur nos crânes nus

[Ainsi Jean sans Terre

[Goûte en exploitant

[Les nuits solitaires

[L'orgueil de Satan

Hauts fourneaux lubriques

Prennent pour levain

De leur pain de briques

Notre sang humain

Deuxième Livre de Jean sans Terre - 1938 p.13 à 17               

[ ces quatrains ne sont pas dans Jean sans Terre – Landless John p.18/19 ]

[ Ce quatrain ne figure pas dans le Deuxième Livre de Jean sans Terre ]

       3) Jean sans Terre appelle les Cyclopes

Redeviens Cyclope

Frère au front poli

Rebâtis d'Europe

Le rêve aboli

Regarde ! la Terre

A de maigres seins

Mais elle est ta mère

Que son nom soit saint

Noirs jusqu'aux racines

Les arbres déments

Boivent la benzine

En guise de vent

Nuages d'oxydes

Ruisseaux de lysol

Hâtent le suicide

De ce grave sol

Les haleines rances

Et les sangs viciés

Marquent la souffrance

De ces temps d'acier

La misère d'être

Et l'âcre sueur

Aux murs de salpêtre

Imprègnent leur peur

Ecoute les plaintes

Dans les hôpitaux

Espérant la sainte

Voix d'un ex-voto

D'adorables mères

En croix sur le lit

Soignent leurs ulcères

Près des seins de lys

La vérole rôde

Dans les corridors

Mais un baiser d'iode

Fait que tout s'endort

Dans la capitale

Creuse de tunnels

Les hydrocéphales

Bravent l'éternel

Des fleuves de foutre

Vainement giclé

Encrassent les poutres

Et les murs enflés

La nuit se copulent

De tendres époux

Mais la mort crapule

Veille dans leurs poux

Oh il faut que lèvent

Parmi ces purins

Les magiques sèves

De nos souterrains

Il faut des miracles

Des cris enchantés

Des phares qui raclent

Ces hôtels hantés

Versez les pétroles

D'or sur la cité

Et les auréoles

D'électricité

Sur cent mille tonnes

D'âme et de béton

Monte la colonne

Que nous habitons

Et sur les décombres

D'horribles plâtras

Dans la nuit des ombres

L'Homme surgira

Voici l'Homme : admire

Son œil triomphant

La fleur du sourire

Aux lèvres d'enfant

Son pas qui résonne

Dans les parcs de mai

Sa main qui se donne

A qui veut l'aimer

Délivré du doute

Peuple mal aimé

Marche sur la route

De l'esprit armé

Et sous les médailles

D'astres redorés

Suis les funérailles

D'un siècle abhorré

(Deuxième livre de JsT p.18)    

       4) Jean sans Terre épouse la Lune

Souvent Jean sans Terre

Boit en pleine nuit

La bière lunaire

Qui mousse sans bruit

Il boit goutte à goutte

Il boit fort et sec

Mais il boit le doute

Et l'angoisse avec

Car la solitaire

Aura soif toujours

Rien ne désaltère

Le buveur d'amour

Le blême liquide

Partout répandu

Refuse aux coeurs vides

Le rêve perdu

Et trop de lumière

Ne fait que voiler

Les mille mystères

De l'ange étoilé

Lune inoxydable

Rose d'hélium

Ta neige de sable

Nous tisse un peplum

Tout l'esprit des choses

Se résorbe en toi

Tes métamorphoses

Dictent notre loi

Sein d'une amazone

Glabre et virginal

Pour lequel les hommes

Inventent le mal

Lourde d'amours louches

Avec Belphégor

Ta panthère accouche

Des chiens du remords

Tu nourris la race

Qu'il nous faut haïr

L'engeance vorace

Du sombre nadir

Les jeunes planètes

Au front boréal

Souriantes tètent

Ton sein fulgural

Mais les nuits où lasse

Soudain tu maigris

Ta cruche se casse

Et ton lait s'aigrit

Femme entre les femmes

Soumise à ton sang

Ces nuits-là ton âme

S'offre aux moins puissants

La vois des orfraies

Tourmente ta peur

Et dans l'oseraie

L'ombre des vapeurs

Sous les météores

Que l'espace éteint

Sois la mandragore

Dans un lit de thym

Lune à jamais rousse

Mortelle aux saisons

Tu nous éclabousses

Du pâle poison

Alors Jean sans terre

L'adorable fou

Devient Jean Lunaire

Et ton triste époux

(Deuxième livre de JsT p. 24)

      5) Jean sans Terre s'immole au Soleil

Jean sans Terre adule

L'astre adolescent

L'ivre crépuscule

Des siècles naissants

C'est l'œil redoutable

L'œil unique au front

De l'être innommable

Que nous ignorons

C'est l'œuf des genèses

L'œuf de tous les œufs

Le baiser de braise

La noce du feu

C'est la dynamite

Qui dans les cités

Remplace le mythe

Par la vérité

C'est la folle bombe

Dont l'explosion

Renverse les tombes

En rédemption

Et quoi que sans Terre

De son maigre corps

Jean couvre la terre

Comme font les morts

— Vainqueur des aurores !

Dit-il : Souverain !

Descends et dévore

Mon stérile grain

Toujours je te mange

Dans le noir cassis

Dans la douce orange

Sans dire merci

Dans l'âpre grenade

Enceinte de toi

Et dans la muscade

Toujours je te bois

Et dans la groseille

Et dans le melon

Partout tu sommeilles

En ces soleillons

Mais puisque je t'aime

De si pauvre faim

Punis ce blasphème

Venge-toi enfin

Incinère et brûle

Dans le feu divin

De ton crépuscule

Ce qui fut si vain

Soleil je t'invite

Et je me soumets

Ne me ressuscite

Jamais plus jamais

(Deuxième livre de JsT p. 29)      

      6) Jean l'Hermaphrodite

Jean à double face

Jean à double sens

Ne sait qui l'embrasse

Ni ce qu'il consent

Car il s'illimite

Au-delà de soi

Frêle Hermaphrodite

Il rompt toute loi

Sait-il s'il est double

Ou s'il est moitié ?

Et lorsqu'il se trouble

S'il se donne entier ?

Oh jamais l'unique

Et jamais le vrai

On le revendique

Vite il se soustrait

Deux fois solitaire

Dès lors qu'il est deux

Toujours il doit taire

L'impossible aveu

Ardeur de séduire

Lot d'être séduit

Tout ce qu'il désire

S'exige de lui

Prétexte du mâle

Son corps s'abolit

Sous une main pâle

Qui défait le lit

Il est l'un et l'autre

Le fleuve hautain

La berge où se vautre

La chair du matin

Jean devenu Jeanne

S'entend balbutier

A chaque compagne

Son inimitié

Pour lui seul la Lune

Se transforme en Lun

Et le vent des dunes

Se charge d'alun

La grasse soleille

De l'autre pays

Près de lui sommeille

Et l'engaillardit

Quand tout se dessexe

Mais que rien ne ment

Le contraire annexe

Son vrai complément

Jean qui fut le faune

Est la faune aussi

Pan au rire jaune

Et au myosotis

A paris la Seine

Lui donne le sein

Et la jeune reine

N'est plus rien qu'un rein

Candide Narcisse

Se penchant sur l'eau

Sait-il qu'en sa cuisse

Une angoisse éclot ?

Quand de son aisselle

Fuit la fine odeur

Sa main fraternelle

Epouse sa sœur

Impalpable geste

Dont le chant muet

Consomme l'inceste

De l'être mué

De toute son âme

De toute sa chair

Jeanjeanne se pâme

Au double univers

(Deuxième livre de JsT / 1938 p. 35)           

       7) Jean sans Terre maudit l'Automne

De combien d'automnes

Es-tu déjà mort

Pour que ne t'étonne

Plus aucun remords

Pour que tant de fêtes

Ne te masquent pas

Le maigre squelette

Et l'ultime glas

Car l'exubérance

Agace le sort

Et la déchéance

Venge tout essor

Déjà les centaures

Frappant du sabot

Font jaillir le chlore

Des anciens tombeaux

Offrant aus orages

Leur ardent poitrail

Leur rire saccage

Les soirs de corail

Mais l'extase est brève :

Le cœur tôt repu

Sent monter la fièvre

Et bouillir le pus

Une peur affreuse

Etreint la forêt

Sa rage de gueuse

Vite reparaît

Dans la pourriture

Dans la cécité

Toute créature

Prend sa vérité

Une infâme crème

Crachat de Satan

Sur la terre blême

Miroite et s'étend

Tout le crépuscule

Est intoxiqué

D'abcès de russules

De sangs imbriqués

L'amanite oronge

Et l'affreux bolet

De feutre et d'éponge

Distillent leur lait

Jadis ballerine

Aux soyeux froufrous

La chaste églantine

A le chancre mou

Et la pomme ronde

Comme l'univers

Se lève à l'immonde

Fringale des vers

Les augustes chênes

Deviennent gibets

Où pendent les reines

Et les galoubets

D'un simple coup d'ailes

Le vent malicieux

Brise nos échelles

Qui tentaient les cieux

Dans les hauts vignobles

Que l'enfer a cuits

S'installe l'ignoble

Bête de la nuit

Tout l'or des aurores

Réduit en lingots

Déjà s'évapore

Au feu des fagots

Et la pluie hargneuse

Que l'été trompa

Quoique silencieuse

Ne pardonne pas

Ivre de vengeance

Elle ensevelit

La mauvaise engeance

De tout ce qui vit

Et les pâles feuilles

Lasses de frémir

Du vent qui les cueille

Se laissent ravir

Dans leur chute lente

Entre ciel et sol

La mort consolante

Leur donne le vol

(Deuxième livre de JsT p. 40 à 45)       

        8) Jean sans Terre devant l'Amour

Femme sois ma mère

Femme sois ma mer

Celle en qui j'espère

En qui je me perds

Mer où tous les fleuves

Las de conquérir

L'espace enfin peuvent

Chastement mourir

Après tant d'errances

Se jeter en toi

Après les souffrances

Et les désarrois

Ouvrent les écluses

De ton grand destin

Femme ne récuse

Pas qui t'exalta

Savante complice

De mes lourds secrets

Ennoblis le vice

Par un long regret

Si tu te dénudes

Jusqu'en ton esprit

Toute solitude

Soudain te guérit

Notre Douce Dame

Qui devines tout

Jamais ne condamne

Ce qui rôde en nous

Sois sous mon déluge

L'étang qui me boit

Et sois le refuge

Du fauve aux abois

Tantôt l'anémone

Qui meurt sous mes pas

Tantôt l'amazone

Dont l'oeil dur m'abat

Toi qui fus le pôle

Pur de la clarté

Mon ongle te frôle

Ton corps est dompté

Que sous ton aisselle

Tout près de ton coeur

Pour moi seul ruisselle

L'unique liqueur

Dans les blés qui plient

Sous le vent pressant

Ta mélancolie

Me sache présent

Dans le sang des fraises

Doux à ton palais

Ta lèvre me baise

Ainsi qu'il te plaît

Et quand la chouette

Siffle tristement

C'est moi qui te guette

Chef de des tourments

Or si je te laisse

Aux mains de la nuit

Pâle druidesse

C'est là que je suis

C'est là sous ta porte

Que mon ombre attend

Que le soir m'apporte

Ton cri consentant

Femme sois ma mère

Femme sois ma mer

En qui Jean sans Père

S'oublie et se perd

(Deuxième livre de JsT p.46)       

      9) Jean sans Terre hante le Boulevard

Sous le chloroforme

D'irréels éthers

Les cités s'endorment

Croulants belvéders

Que les promontoires

Les fiers panthéons

Soulignent leur gloire

D'un fil de néon

Tôt le labyrinthe

Noir des boulevards

S'emplit d'ombres peintes

De sang et de fard

Haut dans les immeubles

Alpes de ciment

Les hommes aveugles

Rêvent lourdement

Et sous leurs persiennes

On entend parfois

Ceux qui vont et viennent

Demander pourquoi

Pourquoi les lémures

Vengeant l'inconnu

Meublent de murmures

Leur sommeil ténu

Partout dans les chambres

Ils sont deux à deux

Qui mêlent leurs membres

Et leur doute affreux

Là des femmes rousses

Reniant l'amant

Souterraines sources

Pleurent doucement

Là des hommes pâles

Mordus de remords

Appellent d'un râle

Leur mère la mort

Et leur front s'effrite

Comme le vil plâtras

L'âge marque vite

Ceux qu'il mangera

Le visqueux silence

Tampon de terreur

Quintuple la transe

Des mauvais dormeurs

Quand la nuit opaque

Se zèbre soudain

Une porte claque

Un phare s'éteint

C'est d'une naissance

Le cri pointu c'est

Cruelle alternance

Un grave décès

Mais tant de supplices

Sont immérités

Dans les précipices

De l'humanité

De l'ultime zone

Un tout petit vent

Né dans un nid d'aulnes

Souffle allègrement

Et voici l'aurore

Renaissant des eaux

Qui se remémore

La voix des oiseaux

(Deuxième Livre de Jean sansTerre p.51)    

       10) Jean sans Terre Citoyen du Rêve

Bien que Jean sans terre

Je n'échappe pas

Aux lois de la terre :

Repas et trépas

Triste mammifère

Enflé de désirs

Dont la chair n'espère

Que s'anéantir

Tout n'est qu'une lutte

Contre la sueur

Et l'horrible chute

De la pesanteur

Comment donc apaises-

Tu, Dionysos

Ton corps lourd qui pèse

Deux cent vingt deux os ?

Tout ce corps avide

Qui mange le temps

Tandis que des rides

Le filet se tend ?

Ne suis-je qu'un homme

Debout au marché

Pour peser des pommes

Et non des péchés ?

Si parfois je pense

A punir le mal

Au fond de ma panse

Glapit l'animal

Mais où je transporte

Ce poitrail épais

Toute une cohorte

D'ombres s'en repaît

Or sous cette harde

Couvrant mon limon

Soudain me regarde

Mon meilleur démon

Hors mon sang qui stagne

Et déjà s'aigrit

S'évadant du bagne

Plane mon esprit

Doucement ma tête

Infidèle aux lois

Parmi les planètes

Se mêle au tournoi

Vers les stratosphères

Et les gels domptés

Calme montgolfière

Je me sens monter

C'est moi qui me quitte

Et qui me trahis

Hors de ma guérite

Mon âme bondit

Muscles et basaltes

Ne tiennent plus rien

Quand l'âme s'exalte

Au-delà du bien

Plus loin que le doute

Plus loin que la foi

M'enlève ma route

M'arrachant à moi

Oh je me promène

D'un pied résolu

Parmi les systèmes

Du pur absolu

Citoyen du rêve

Dans ses bleus palais

J'abjure la sève

Qui me harcelait

Et je me libère

Et je deviens Jean

Tout-à-fait sans Terre

Ange du dedans

(Deuxième livre de JsT p.56)      

5 décembre 2008

Recueil Troisième livre de Jean sans Terre 1939

Recueil Troisième Livre de Jean sans Terre 1939/  Die Lyric   III/117

      Jean sans Terre conduit la Caravane

Ai-je déjà foulé ce sable

Il y a cent ou cent mille ans

D'une trace plus vulnérable

Que le feu d'un soleil filant ?

En tête de la caravane

Mon chameau dans le sable bis

Cherche comme le vent profane

La clef des éternels oublis

Déjà mes arrière-grands-pères

Ont cultivé cet océan

Sans que leur ombre passagère

Pût défricher le vieux néant

Bien que la lumière mortelle

Les harcelât au coeur du jour

Ils allumaient une chandelle

Pour retrouver l'antique amour

Je porte leur ancien squelette

D'or et calciné par les ans

Et ma chair nouvelle s'apprête

A l'emplir de besoins pesants

J'entends le loup rouge qui hurle

Dans la caverne de mon sang

Croquant au bord du crépuscule

Les os du rêve renaissant

Voguez voguez lents dromadaires

Et traversez l'éternité

Depuis les aubes quaternaires

Jusqu'au tombeau précipité

Mon peuple aux bras d'or et d'ébène

Meurt de soif et surtout d'espoir

J'ouvre en mes deux poignets les veines

Pour lui donner un reposoir

Je veux que mon amour pourrisse

Et ne renaisse plus jamais

Si par ce dernier sacrifice

En l'homme un jeune dieu renaît

Si sans que l'Alpe les arrose

Dans la peau morte du désert

Monte la fraîcheur d'une rose

Et l'ombre d'un miracle vert

Je n'aurai pas besoin de chienne

Pour chasser la faim du chacal

Il suffit que ma foi revienne

Et l'aurore de mon choral

Offrant à ceux qui les convoitent

Au chameau lent au fier lion

Le sel de ma main faible et moite

La force de ma religion

[Troisième Livre de J s T p. 9/12 ]                III/118

      Jean sans Terre a le mal de Terre .

Mon faible corps s'étale

Sur les cinq continents

Toutes mes capitales

Ont le même tourment

Sombres noms de villages

Visités par la peur

Vous apprendrez aux sages

La honte de nos coeurs

Soleil de mélinite

A chaque aube je crains

Ta bombe qui crépite

En nos noirs souterrains

Et quand la lune ermite

Monte à ses balcons d'or

Son lys de dynamite

Parfume notre mort

Est-ce mon cœur qui tonne ?

Est-ce mon pouls qui bat ?

J'ai mal à Barcelone !

J'ai mal à Guernica !

Mon pied s'étend aux Chines

Où meurent les enfants

Mon front en Palestine

Rougit du jeune sang

J'ai mal à mes vieux chênes

Que la mitraille abat

Privant les mornes plaines

De l'ombre de leurs bras

Dis-moi dans quelle langue

Je peux encore chanter

La parole est exsangue

Et l'esprit est hanté

Dis-moi pour quel mystère

Désormais exister

Parcours toute la terre :

Morte la liberté

Dans quelle cathédrale

Où sous quel minaret

Dois-je enfouir mes cymbales

Et mes ardents secrets ?

La mort est sur la terre

Et dans le firmament

J'habite mon repaire

Parmi les ossements

Oh j'ai le mal de terre

Le mal de l'animal

Qui couve en sa poussière

Le sanglot ancestral

[Troisième Livre de J s T p. 13/16 ]        III/120

      Jean sans Terre brave la Tempête

Donc Jean sans Terre

S'embarque un jour

Sur la galère

Des sans-retour

Le vieux navire

Des grands départs

Vogue et n'arrive

Nulle autre part

Verdi de crasse

Mordu de sel

Toujours en chasse

Vers l'éternel

La mer qui cogne

Le ciel qui bout

Seul lui l'ivrogne

Reste debout

Jean rit et crache

Dans l'océan

Sous la cravache

Du sacré vent

« Mon frère orage

Sois mon ami

Malgré ta rage

Dont je frémis

D'un grand message

Ton aile bat

Sois le présage

Du bon combat

Sur cette coque

Ivre de peur

Mer ventriloque

Gobe mon cœur

Par trois fois merdre

Puisque je n'ai

Plus rien à perdre

Que ce grand nez

Et cette gueule

J'en ai assez

Rends-moi aveugle

Et trépassé ! »

Homme de proue

Jean des deux bras

Prend et secoue

Le ciel trop bas

Mais la tempête

Soudain se tait

Et sur sa tête

L'aurore naît

Et Jean sans Terre

Le révolté

Vers sa misère

Est rejeté

.[Troisième Livre de J s T p. 17/20 ]       III/124

      Jean sans Terre découvre l'Ange   

Fils d'une nébuleuse

Et du grand Altaïr

Je sens la terre creuse

Et prête à me haïr

La vache du ciel beugle

En renversant les monts

Et me rejette aveugle

Au gouffre de limon

Entre deux maigres cuisses

Mon astre fut planté

Et dans le précipice

De l'homme projeté

Je sais de quelle grotte

Je vins à l'univers

Mon squelette grelotte

Dans son manteau de chair

D'une âme et de vertèbres

Péniblement muni

La chaleur des ténèbres

M'a justement banni

Et ma semelle tâte

Sur le dur continent

La route qui se hâte

Vers la mort lentement

Partout je vois des frères

Qui s'attardent légers

Sur les sentiers de terre

Et sans les abréger

Tenant à leur poussière

Dont ils sont protégés

Evitant la lumière

Et ses divins dangers

Pourtant moi je chancelle

Par crainte de souiller

L'ombre de l'hirondelle

Qui vient me survoler

La vaillante alouette

Se pose sur mon front

Et promptement becquette

Le feu de mes yeux ronds

Les savantes pépites

Des astres naufragés

Qui dans la nuit presbyte

Vinrent me ravager

Et mes arbres ancêtres

Aux membres d'éléphant

Pour me consoler d'être

Vieillard au cœur d'enfant

Me lancent des oranges

Des petits Sirius

Nourriture des anges

En ces bas-fonds perdus

Mais de ma main lépreuse

Fouillant dans le cosmos

Je trompe l'heure creuse

Je rejette mes os

Vers l'azur qui fourmille

D'archanges couronnés

Je rentre en ma famille

Prodigue et pardonné

.[Troisième Livre de J s T p. 21/24 ]       III/128

      Jean sans Terre emplit sa Panse   

Mais vaille que vaille

Puisqu'il faut manger

Par la basse entraille

Tu peux te venger

L'heureuse ripaille

Chassera la mort

Qui rôde et fouaille

Au fond de ton corps

Ta mâchoire entaille

La force du boeuf

Ta langue tressaille

Devant l'or de l'oeuf

Mords la tendre caille

De tes belles dents

Le perdreau qui maille

Pour te rendre ardent

Frotte l'ail canaille

Détrousse l'oignon

Que toute semaille

Montre son trognon

L'échalote éraille

Et le doux cerfeuil

Pour la cochonaille

Que mire ton oeil

Et lampe les failles

Et les blancs velours

Des crèmes qui caillent

Et des beurres lourds

Cours aux épousailles

Sucer le homard

Puis aux funérailles

Te chauffer au lard

Et sous les sonnailles

De fameux festins

Sens comme défaillent

Les fruits du matin

Oui par la tripaille

Et par le vin fort

Livre une bataille

A la maigre mort

.[Troisième Livre de J s T p. 25/27 ]       III/132

      Jean de la Mort

J'accours aux plaines

Pleines d'échos

Où les fontaines

Rêvent tout haut

J'entre en la sombre

Vallée ou dort

Le peuple d'ombres

Tribu des morts

Là où le lierre

Le marbre nu

Mon jeune père

Veille étendu

Sous le délire

Des vers luisants

Son grand sourire

Brave les ans

En lui résonne

Tout l'univers

Les voix d'automne

Les cris d'hiver

Est-ce l'orage

Qui fend le ciel ?

Ou le message

De Gabriel ?

Soudain la brune

Nuit s'épaissit

La pleine lune

Pourrit roussit

Biblique tombe

Vas-tu t'ouvrir

Sous cette bombe

Du souvenir ?

Oh sous l'éclipse

De l'astre noir

L'apocalypse

Va-t-elle échoir ?

Les aulnes dansent

Dans la vapeur

Déjà leur transe

Tanne ma peur

Des clochers proches

Têtes d'étain

Hochent leurs cloches

Tels des pantins

Grêles chouettes

Graves sorciers

Partout me guettent

Dans les osiers

J'appelle : « Père ! »

D'un accent fou

Et sur sa pierre

Tousse un hibou

Déjà s'enfonce

Mon faible corps

Parmi les ronces

Jean de la Mort

[Troisième Livre de J s T p. 28/31 ]       III/136

      Jean sans Fils

Plus je fus multiple

Plus seul je serai

Après le périple

Rien ne sera vrai

J'ai voulu séduire

Et suis sans amour

Déjà je sens bruire

L'aile du vautour

Creusant les espaces

Le noir météor

Voudrait que sa trace

Soit un rayon d'or

Lui-même errant astre

D'un fuyant charbon

Grave au grand cadastre

La fumée d'un nom

Et sa folle torche

D'une molle dent

N'enflamme et n'écorche

Pas même le vent

Je ne ferai souche

Ni ne ferai loi

Parce que ma bouche

Mentit trop de fois

Et je me disperse

Nuage rompu

Mais sous mon avers

Rien ne germe plus

De mes origines

Aux sables de l'Ur

Ici se termine

Mon trajet obscur

Ma dernière goutte

Forant le ciment

Fournira l'absoute

De mes errements

Voici la vengeance

De l'infinité

J'entre sans engeance

Dans la cécité

Aucun fils au cerne

Violet de deuil

N'est là qui prosterne

D'ombre sur mon seuil

Car le solitaire

Le héros hautain

Ne peut-être père

Que bénédictin

Sous ma paume vide

Nulle boucle à moi

Quand l'heure perfide

Dictera sa loi

Déserte ma tempe

Désert mon genou

Rien ne me ressemble

Et je meurs partout

.[Troisième Livre de J s T p. 32/35 ]       III/140

      Jean sans Terre veille une Morte

Belle qui fus l'usine

De tant de volupté

Du sein jusqu'à l'échine

Captant l'éternité

Sainte tour de vertèbres

Où mon nom fut chanté

Déjà le froid funèbre

Commence à te chanter

Déjà mon infidèle

Tu refermes ton corps

Comme une citadelle

En me chassant dehors

J'ai creusé tes sourires

J'ai nourri tes regards

De ce rare délice

Qu'on porte comme un fard

J'ai humé ton haleine

Toute une vie : hélas

Il m'en demeure à peine

Souvenir de lilas

Après la peur affreuse

Des gels et des sueurs

Où tes aïeules gueuses

Hurlaient des profondeurs

[Après l'absurde fièvre

[Où le bouillon de pus

[Distillait sur tes lèvres

[Tous nos baisers non bus

[Déjà tu me repousses

[Comme un pauvre étranger

[Presque je te détrousse

[En voulant t'embrasser

Tu deviens impériale

Et sur ton front bombé

Le silence s'installe

Et le destin plombé

Devant son calme auguste

Feignant la vérité

Serais-je moi l'injuste

En voulant protester ?

[Es-tu mon adversaire

[Reniant le vivant ?

[Supportes-tu que j'erre

[[Plus honteux que le vent ?

Serais-tu l'Euménide

Pour me persécuter

De ton œil ovoïde

Couvrant ma cécité ?

Non marbre provisoire

Tu pourriras demain

Hier le laboratoire

De rêves surhumains

Hier déesse immortelle

Dont je fus sacrifié

Ton cœur et ta cervelle

S'écoulent liquéfiés

Tu pars à la dérive

La dérive du temps

Quittant la sombre rive

Où mon ombre t'attend

[Et quelque part en terre

[Au recommencement

[Sûrement Jean sans Terre

[Sera ton pur amant

Troisième Livre de Jean sans Terre p.36/40    III/144

[ Quatrains disparus dans Jean sans Terre - Landless John p. 20/21 ]

      Ci-gît Jean sans Terre

Couchez-moi sous la terre

De tout mon long

Le long de l'horizon

Et tout près du mystère

Mon coeur aux quatre portes

Ouvert aux quatre vents

Plombez-le de ciment

Et de tristesse forte

Je jauge le poids d'ombre

D'une herbe qui frémit

J'apprivoise le cri

D'irréelles colombes

Mais les chants de ma bouche

Restent pétrifiés

Les désirs de mes pieds

Ne quittent plus ma couche

Hélas je suis coupable

D'avoir bien mal vécu

D'avoir mangé et bu

A de trop maigres tables

J'ai égorgé des sources

Pour trouver un peu d'eau

J'ai rôti des vanneaux

Happés en pleine course

J'ai secoué des lunes

Dans les vergers touffus

J'ai renversé les fûts

Pleins d'alcool de Saturne

Pourtant ma douce tombe

Tombe insensiblement

A travers les décombres

D'irascibles couchants

Je ne suis plus le père

Je ne suis plus le fils

Ma mâchoire sourit

A de nouveaux mystères

[Troisième Livre de Jean sans Terre p.41 à 43 ]             III/148

[ Jean sans Terre - Landless John, p.27 ]

4 décembre 2008

Recueil Poèmes de Jalousie

Poèmes de Jalousie 1926

Ivan à Claire

Orphée charma les panthères timides

Les loutres de velours

Les autruches hystériques

Les baleines à quatre étages

Les ibis

Les lézard naïfs

Mais toi, fauve entre toutes,

Par quelle poésie

Te toucherai-je ?

( Poèmes de Jalousie 1926, Ivan à Claire p.32 )                                                  II/63

Ah! que m'échappes-tu ,

Infidèle vers les pays de fièvre !

Tes pas ont fondu dans la neige,

Des lambeaux de ton âme saignent dans les arbres.

Quel dieu vorace a passé par là ?

Tu brûles !

As-tu frôlé une étoile de trop près ?

Ta bouche vogue , barque sans retour,

Tes mots ne me retrouvent plus …

Je te tiens toute,

Moite, ivre, ouverte,

Et rien de toi

Ne m'appartient !

( Poèmes de Jalousie 1926, Ivan à Claire p.32 )                                                  II/64

J'ai attendu pendant trente ans,

Pour te voir passer dans le ciel,

Assombrir le soleil

Et signifier à Dieu qu'il peut se retirer !

J'ai attendu au coin de tous les squares

Pendant une vaine jeunesse

Car je savais qu'à ton passage

Les longues rues toujours tournées au nord

Verraient enfin aussi l'aurore,

Les chiens tristes viendraient lécher tes pieds,

De mes épaules enfin tomberaient

Mes trente automnes pluvieux……

Viens !

Car je n'attendrai plus que le prochain tramway.

( Poèmes de Jalousie 1926, Ivan à Claire p.33 )                                                  II/64

Dans cent ans les jets d'eau te pleureront encore,

Et les corbeaux ne seront pas moins noirs,

Les soirées broderont de la mélancolie,

Car dans cent ans tu seras morte !

Mais nul ne saura plus que c'est ton âme

Qui grise encore le printemps,

Que tu es trèfle

Bégonia

Brise au parfum de fraise,

Que c'est ton immortel amour

Qui encore inspire les dieux.

( Poèmes de Jalousie 1926, Ivan à Claire p.34 )                                                  II/66

Que tu es belle !      

Dans l'arbre rouge de tes veines

Sont perchés mes oiseaux de rêve,

Et ton aorte

Est le grand fleuve du destin.

Tes poumons sont des aigles aux ailes déployées .

Sur le lac courbe de ton cœur

Des barques passent chargées de chagrin,

Se mirant dans un profond vide.

Belle entre toutes ,

Voici ta tête !

Chrysanthème teint au henné,

Droit sur sa tige vertébrale .

( Poèmes de Jalousie 1926, Ivan à Claire p.35 )                                                  II/72

Effeuille donc les camélias

De tes seins pâles !

Teins tes cheveux au gré des passions,

Noirs pour l'orage, rouges pour l'amour !

Et que tes yeux soient assortis

Aux colliers d'astres

Que t'offrent les dieux millionnaires !

Pour moi, tu restes immuable

Dans une goutte de ton sang :

Je cultive un milliard de tes bacilles,

Journellement au microscope

J'en observe les constellations.

La nuit, ils crient comme un champ de cigales

Claire, Claire, Claire, Claire, Claire !

( Poèmes de Jalousie 1926, Ivan à Claire p.36 )                                                  II/66

Les lacs reproduiront le négatif  de ton portrait,

Les oiseaux apprendront ta voix,

Je planterai tes cheveux dans les prés,

Pour moderniser la nature.

Tes dents seront les seules pierres précieuses

Au cou des femmes.

Le léguerai à l'Atlantique

Les derniers modèles de conques : tes oreilles !

Et je couperai tes deux mains,

Pour les faire sécher

Comme des étoiles de mer.

Ton cœur,

Conservé dans l'alcool,

Ornera ma commode.

( Poèmes de Jalousie 1926, Ivan à Claire p.37 )                                                  II/72

Dès que tu dors,

Je développe au bromure de lune

Les films verts de tes yeux.

Et ta journée recommence à rebours !

Je vois sur le mur de la nuit

Passer les cent visages

De ton amant trop beau,

Je tourne vos baisers perdus,

Vos étreintes irréparables,

Je vis ta vie tandis que tu la rêves

Mais je ne t'étranglerai point :

Je veux te voir mourir cent fois par jour .   

( Poèmes de Jalousie 1926, Ivan à Claire p.38 )                                                     II/68

Toute femme est un recommencement

Chaque sein blanc une cime plus haute

Vers notre perfection.

Je brisai dans la nacre d'autres ventres

Les perles rares des nombrils

Et t'en fis un collier.

Dans les forêts multicolores des cheveux

J'apprivoisai les cobras et les aigles

Pour ta garde.

Avec les cris de mille nuits perdues

Je t'ai composé ce poème :

Pourquoi te plaindre,

Femme unique aux cent coeurs,

Eves, Maries, Germaines,

C'est toi, c'est toi, c'est toi !

( Poèmes de Jalousie, Ivan à Claire p.39 )                                                               II/68

A chaque arrêt facultatif

Je monte dans les autobus,

Pour t'y trouver.

Je vais à tous les rendez-vous

Que Paris fixe entre cinq et sept heures,

Et dans tous les hôtels meublés

Tu as ta chambre embaumée de lilas. Car tu es si multiple

Ton sourire est si innombrable :

Dans chaque femme de printemps

Je te trouve et je t'embrasse

( Poèmes de Jalousie 1926, Ivan à Claire p.40 )                                                              II/73

Dans la mer calme de tes yeux

Je jette mes filets,

Pour y pêcher les turbots bleus d'espoir,

Les saumons de l'aurore,

Le varech pour nous enchaîner,

Mais parfois la tempête

Ouvre tes glauques profondeurs

Et dans la vase de ton cœur

Je vois les pieuvres roses,

Les lunes brisées,

Et le squelette blanc de ton amant.

   

( Poèmes de Jalousie 1926, Ivan à Claire p.41 )                                                               II/73

Je porte comme un tatouage

Ton sourire sur mes paupières.

Sur mes lèvres sont peints

Chacun de tes baisers.

L'acide de tes larmes

A défraîchi mes cols.

Et tes lettres immenses

Remplissent mes complets.

Immunisé

Contre tous les regards

Comment veux-tu,

Que d'autres femmes m'aiment !

( Poèmes de Jalousie 1926, Ivan à Claire p.42 )                                                     II/70

Tu as quitté le domicile de l'amour

Et maintenant le vent claque les portes

De mon cœur mal fermé :

Entre qui veut !

Je te trompe avec la douleur,

Qui me montre ses vieux seins blets.

La solitude approche

Et passe sa main dégantée

Dans mes cheveux.

Je couche avec la maladie,

Et j'ai fait appeler la mort.

  Vienne qui veut,

  La clef est sur mon cœur

( Poèmes de Jalousie, Ivan à Claire p.43 )                                                      II/74

Reviens :

J'inventerai une cinquième saison pour nous seuls,

Où les huîtres auront des ailes,

Où les oiseaux chanteront du Stravinsky

Et les hespérides en or

Mûriront aux figuiers

Je changerai tous les calendriers,

Où manqueront les dates de tes anciens rendez-vous,

Et sur les cartes de l'Europe

J'effacerai les routes de tes fuites.

Reviens :

Le monde renaîtra

Les boussole auront un nouveau Nord

Ton coeur !

( Poèmes de Jalousie 1926, Ivan à Claire p.44 )                                                     II/70

Claire à Yvan

Je pleure dans la Seine depuis deux mois ( Poèmes de Jalousie 1926, C à I p.11)     II/51

Tu ne me vois plus ( Poèmes de Jalousie 1926, C à I p.12 )                                        II/52

Que la mauvaise herbe pousse sous tes pas (Poèmes de Jalousie 1926, C à I p.13)   II/60

Alors la marée se retirera dans tes yeux     ( Poèmes de Jalousie 1926, C à I p.14 )      II/60

Je suis jalouse de la rue ( Poèmes de Jalousie 1926, Claire à Ivan p.15 )                    II/52

Lorsque j'ouvre ton pneumatique ( Poèmes de Jalousie 1926, C à I p.16 )                   II/61

Depuis que tu m'as quittée ( Poèmes de Jalousie 1926, Claire à Ivan p.17 )              II/54

Tu étais la Colonne Vendôme ( Poèmes de Jalousie 1926, Claire à Ivan p.18 )            II/54

Je me promène sous un parachute blanc ( Poèmes de Jalousie 1926, C à I p.19 )      II/61

Ah! rire encore comme les framboisiers ( Poèmes de Jalousie 1926, C à I p.20 )      II/56

J'attends toute ma vie au téléphone (Poèmes de Jalousie 1926, Claire à Ivan p.21)   II/56

C'est le printemps ( Poèmes de Jalousie 1926, Claire à Ivan p.22 )                             II/58

Tu as cambriolé mon amour ( Poèmes de Jalousie 1926, Claire à Ivan p.23 )           II/62

L'express qui t'emportait ( Poèmes de Jalousie 1926, Claire à Ivan  p.24 )                   II/62

J'avais tout perdu ( Poèmes de Jalousie 1926, Claire à Ivan  p.25 )                             II/58

4 décembre 2008

Recueil de la Vie et de la Mort 1927

Poèmes de la Vie et de la Mort 1927, Jean Budry , Paris                 II/75

Ivan à Claire :

Moi je chante la Vie   

Moi je chante la Vie   

Car elle érige pour ma gloire

L'Arc de triomphe de tes jambes !

Elle actionne la dynamo

Qui pompe imperturbablement

Ton sang : plasma et ambroisie .

C'est elle qui produit

Avec l'huile de tes cheveux

L'essence de lilas que tous les parfumeurs m'envient .

(Poèmes de la Vie et de la Mort p.27)       II/93

La vie me rend prospère

La vie me rend prospère

Je possède des terrains aurifères

Du Cap des omoplates jusqu'au Delta rose !

Je filme et revends ton sourire,

Et quand tu dors, j'écoute

Les secrets que Junon te dicte

dans tes rêves !

Quoi !

toi qui m'as fait milliardaire

Et le Roi de l'Amour,

Tu voudrais maintenant mourir et me ruiner ?

(Poèmes de la Vie et de la Mort p.28)                   II/93

Non je ne veux pas mourir

Non je ne veux pas mourir,

Dans aucun ciel je ne retrouverai

Le bleu rare de ton sourire,

Aucun enfer ne me reproduira

Le rouge de tes boucles,

Je n'attends rien au-delà de tes lèvres !

Et si un soir

Le cadenas de la mort les fermait,

J'ai un baiser entre mes dents

Qui plus fort que la mélinite,

Les ferait exploser et rire

Eternellement !

(Poèmes de la Vie et de la Mort p.29)             II/94

Il nous faut vivre encore   

Il nous faut vivre encore    

Puisque nous avons notre corps

Tendu droit vers les cieux !

Nous avons un devoir comme le noir cyprès

D'atteindre toujours de plus près

A Dieu !

Impossible, enfant faible, de se dérober,

Si las qu'on soit !

Toi qui as des jacinthes sous les seins,

Toi que les roses reconnaissent

A cette incurable tristesse,

Et que les gazelles envient

Parce que jamais elles ne sourient ....

Résigne-toi encore un peu

A être heureuse !

(Poèmes de la Vie et de la Mort p.30)                   II/94

Au mois d'amour

Au mois d'amour

Le vieux vent asthmatique

Repeint à neuf les petites pervenches

Qui habitent le bois depuis trente mille ans,

Il brise les vitres du lac

Où les carpes ont vécu sous scellés.

Dans les buissons ardents Dieu reparaît,

Des fiers glaciers descend l'éternité.

Oh je sui sûr , ma bien-aimée,

Il ne peut rien nous arriver,

Notre sourire

Ressuscite la vie,

Notre sourire

Fera mourir la mort.

(Poèmes de la Vie et de la Mort p.31)                         II/101

Pourquoi attendre que la terre noire

Pourquoi attendre que la terre noire

Cisèle nos profils !

L'éternité est seule

Dans ton rire qui fuse !

Je ne crois plus au silence des pierres :

Je crois aux rossignols qui imitent ta voix,

Aux antilopes qui copient tes pas,

Les tournesols sont les horloges du bonheur,

Et cet unique crépuscule

Où les dieux mêmes devinrent jaloux

D'un baiser fait de miel et d'électricité,

Vaut plus que les siècles des siècles !

(Poèmes de la Vie et de la Mort p.32) II/96

   39 degrés

39 degrés

Un carnaval de fièvre et d'écarlate

Eclate dans ta tête,

Une fête intense s'y déroule,

Des ombres enflammées t'embrassent,

Les dieux ivres t'emportent

Vers les monts de la mort !

Et moi, dans ma prison de chair,

Souffrant d'une santé normale

Dans le froid quotidien,

Captif derrière les barreaux de la pluie

J'assiste à ton orgie,

Comme devant une baraque de mystère

Un pauvre, les pieds dans la boue.

Tu ne me connais plus,

Enguirlandée de rêves,

Couronnée d'aspirines et d'étoiles,

Au bal des géants et des nains :

Déjà grosse d'un démiurge,

Peut-être me méprises-tu,

Moi qui veux que tu vives et prennes ce tilleul.

(Poèmes de la Vie et de la Mort p.33)                                        II/102

  Tu ne me connais plus

Enguirlandée de rêves,

Couronnée d'aspirine et d'étoiles

Au bal des géants et des nains :

Déjà grosse d'un démiurge !

Peut-être me méprises-tu,

Moi qui veux que tu vives et prennes ce tilleul .

(Poèmes de la Vie et de la Mort p.34)                      II/102

Attends! Attends! 

Attends ! Attends !

Ne t'en vas pas si seule dans la nuit,

Le grand manteau de vent ne te suffira pas,

Et tes mains blanchiront encore au chlore de lune....

Ecoute ! Ecoute

La plainte bleue des violettes,

Et les conseils des pierres

Qui savent que la mort est inutile !

Où donc fuis-tu

Un sanglot chaud pressé sur la poitrine ?

Prends ma main rouge et volontaire

Aux cinq doigts comme une étoile de chair,

La main de ma vie qui fait bien un peu mal

Mais qui cache le vide des ciels et des terres.

(Poèmes de la Vie et de la Mort p.35)                         II/103

J'ai de l'amour à tous les doigts

J'ai de l'amour à tous les doigts

Et de l'amour dans chaque son de voix,

Mes millions de cheveux s'ondulent par amour,

Et mes globules rouges tournoient au rythme d'amour .

Que je pense,

Que je danse,

C'est par amour !

Au Pôle Nord,

Sous l'Equateur,

Mon pouls bat au même degré d'amour !

Est-ce un sens divin,

Est-ce une maladie ?

J'ai la cataracte d'amour que nul oculiste n'opère !

Mes yeux ne voient que toi,

Où je les pose

Surgit ton effigie,

Et je projette ton profil

Comme des timbres lumineux d'amour !

(Poèmes de la Vie et de la Mort p.36)       II/103

Un poème pour chacune de tes rides

Un poème pour chacune de tes rides,

Un poème pour le nuage d'acide carbonique

Qu'à chaque baiser tes lèvres expirent.

Pourtant je ne sais rien des orages rouges

Qui grondent dans les tunnels de ton être,

Rien des naufrages dans tes veines,

Rien des présences surréelles

Quand Dieu t'habite !

Sous ton crâne calcaire

Que je connais moins bien que le Cervin,

Quels éblouissements, quels crimes, quels amours

Se cachent,

Que même après la mort

Je n'hériterai point !

(Poèmes de la Vie et de la Mort p.37) II/96

Comme il est défendu de fixer le soleil

Comme il est défendu de fixer le soleil

Sans devenir aveugle,

A te regarder je me suis crevé les yeux !

Et j'ai perdu le sens de l'équilibre,

J'ai oublié le nom de Dieu,

Je trahirai l'humanité !

Ton œil a remplacé la lune,

Immense et hypnotique,

Il me guette toute la nuit !

Derrière tes seins blonds

Ont disparu la Terre et le Soleil,

Je suis au bout des horizons ...

(Poèmes de la Vie et de la Mort p.38)     II/98

Lorsque tu me regardes

Lorsque tu me regardes,

Je suis enveloppé d'une nuée de gloire,

Le plus beau,  le plus  grand, le plus intelligent des hommes,

Fort comme un aurochs, fier comme un transatlantique !

Mais dès que tu détournes le regard

Comme un soleil qui trop tôt s'est couché

Je redeviens l'individu caduc,

Chapeau melon dînant pour quatre francs cinquante,

Ombre parmi les ombres,

Que chassent les saisons

Jusqu'à la proche tombe .

(Poèmes de la Vie et de la Mort p.39)                   II/98

Fille des nuits entremetteuses

Fille des nuits entremetteuses,

De la famille des anges

Et bru des ombres !

Tous les jours, le soleil et moi,

Une heure avant chaque réveil,

Nous préparons le monde pour te recevoir !

Une heure avant chaque réveil

Nous astiquons les cuivres de la ville,

Nous frottons les vitraux du ciel,

Nous cirons le parquet des routes brunes,

Nous agitons les plumeaux d'arbres tendres

Et nous sonnons les cloches

De l'église et des perce-neige,

Enfin nous remontons le merle à ta fenêtre

Qui te réveille .

(Poèmes de la Vie et de la Mort p.40)             II/100

   J'ai employé toutes mes nuits à te …

J'ai employé toutes mes nuits à te connaître

Tel un savant qui fabrique de l'or

Ou qui fait l'inventaire des étoiles .

Egyptologue,

J'ai déchiffré les hiéroglyphes dans tes mains

Et les constellations magiques de tes yeux .

Navigateur, j'ai contourné l'île flambante de ton cœur

Et j'ai planté le drapeau de l'Amour

Sur le glacier de tes tempes arctiques .

(Poèmes de la Vie et de la Mort: I à C p.41) II/100

(Poèmes de la Vie et de la Mort p.41)    II/100

Claire à Ivan

    J'attends notre mort (Poèmes de la Vie et de la Mort   p.9)                                         II/77

    Je voudrais jouer à mourir avec toi (Poèmes de la Vie et de la Mort  p.10)               II/78

Ne serai-je au moins plus jalouse dans la tombe (Poèmes de la V et de la M p.11)    II/78

Autrefois tu chantais mon nom (Poèmes de la Vie et de la Mort p.12)                        II/80

Déchire-moi en mille morceaux (Poèmes de la Vie et de la Mort p.13)                      II/80

Au printemps je rechercherai l'insomnie    (Poèmes de la Vie et de la Mort p.14)            II/92

Voici dix ans que tu m'aimes (P de la Vie et de la Mort p.15)                                     II/82

J'aurai un cercueil surélevé (Poèmes de la Vie et de la Mort p.16)                              II/82

A qui légueras-tu ton ombre de velours (Poèmes de la Vie et de la Mort p.17)          II/84

Dans notre tombe mes cheveux (Poèmes de la Vie et de la Mort p.18)                       II/84

Dans cent ans tu me tromperas (Poèmes de la Vie et de la Mort  p.19)                       II/86

Quand je serai morte     (Poèmes de la Vie et de la Mort   p.20)                                  II/88

Viendront les roses pleureuses (Poèmes de la Vie et de la Mort p.22)                              II/90

4 décembre 2008

Recueil La Chanson de Jean sans Terre 1936

La Chanson de Jean sans Terre 1936                              

Jean sans Terre fait sept fois le Tour de la Terre

Au blond matin

D'une vie entière

Il s'en va loin

Vers la grand' terre

Il part tout seul

Soldat du mystère

Rien qu'une fleur

A la boutonnière

Souriant toujours

Battant des paupières

Il trompe l'amour

A chaque frontière

Dans les cités

Bouillantes de bière

Toute gaieté

Tourne en misère

Au bar des ports

L'épient les moukères

Les garçons forts

Ne l'aiment guère

Amant des mers

Des îles de fièvre

Les vents amers

Baisent sa lèvre

Il fait sept fois

Le tour de la terre

Portant la foi

Dans sa tête fière

Barbier Cireur

Prêtre Corsaire

Pion Empereur

Métiers de chimère

Mais c'est si peu

De courir la terre

De manger du feu

De faire la guerre

Oh toute part

La même misère

Arrivées départs

Aux débarcadères

Soir et matin

La chair et le rêve

Le pain et le vin

Tiens ! Mange et crève !

Individu

Sans nom sans terre

Coeur triste et nu

Qui s'exaspère

Sans passeport

Sans père sans frère

Mendie ta mort

Aux cimetières

[ La Chanson de Jean sans Terre p.9 à 12 ]

Jean sans Terre - Landless John. 1944, p.2/3

Jean sans Terre sur le Pont

Sur le Pont au Change

Jean sans Terre tend

Sa figure étrange

Vers le fleuve ardent

Après l'aventure

Du septuple Tour

Cherche-t-il l'augure

De l'onde qui court ?

L'eau des glaciers marche

Toujours vers la mer

Passe entre les arches

Des villes de fer

Passe inépuisable

Sous les joyeux ponts

Des cités de sable

Qui dansent en rond

Jean sans Terre penche

De nuit et de jour

Sa figure blanche

Sur un sombre amour

Que voit-il descendre

Inlassablement

Vers les plaines tendres

Vers les océans ?

Rien que du cadavre

Rien que de la mort

En quête d'un havre

Après trop d'efforts

Arbres et broussailles

Meubles éventrés

Cornes et entrailles

De taureaux crevés

Jean sans Terre penche

Son profil amer

Sur l'eau qui s'épanche

Vers la grande mer

Mais son œil transperce

Soudain le courant

Qui recèle et berce

Son rêve brûlant

Une fille pâle

Sourit sous les rets

Sur sa peau d'opale

Dorment les brochets

D'algues et d'anguilles

S'ornent ses cheveux

Et sur ses chevilles

Jouent de pourpres feux

L'inconnue céleste

Qui mourut de peur

De la fuite leste

De son faible cœur

Le fixe et l'appelle

D'un regard stygien

Il s'écrie vers elle :

« Oui ! Je viens ! Je viens ! »

Mais les passants passent

Toujours sur le pont

La figure lasse

De Jean les confond

Et l'un d'eux s'approche

Du voyou divin

Glisse dans sa poche

Deux sous pour le pain

Jean tourne la tête

Vers cet homme bon

Le cœur en tempête

L'œil hagard et rond

Mais les passants passent

Fleuve dense et dru

Et leur sombre masse

Boit l'individu

Jean se précipite

Vers le parapet

Plus rien ne palpite

Dans le flux épais

Oh le doux miracle

S'est à jamais clos

Sur son tabernacle

Coule un vert rideau

Sur le Pont au Change

Jean sans Terre tend

Sa figure étrange

Au vent qui comprend

[La Chanson de Jean sans Terre p.13 à 18 ]       

      Jean sans Terre sur les Cimes

Puisque Jean sans Terre

N'a pas arraché

De la vaste terre

Un mètre carré

Il cherche les cimes

D'où l'homme transi

Jette aux dieux sublimes

L'affront de son cri

La jeune tempête

Souffle dans son cœur

La neige lui prête

Sa plus douce fleur

L'ombre du mélèze

Roux et svelte sur

La colline pèse

Moins qu'un bleu d'azur

Sur les cols de glace

On lit plein d'émoi

L'émouvante trace

Des tendres chamois

Enfin Jean sans Terre

Conquiert le sommet

Où l'immense terre

Toute se soumet

Cent pics l'environnent

Et dansent en rond

Vibrante couronne

Autour de son front

Sera-t-il une heure

Un vrai souverain ?

Oh déjà l'écoeure

Un règne aussi vain !

Oh déjà l'agace

L'égale splendeur

Trop d'or ! trop d'espace

Et trop de grandeur !

Cette cime pure

Qui tant l'attirait

Fond sous sa chaussure

Le roc se défait

Une eau sale suinte

Du puissant glacier

La flamme est éteinte

Sur les champs d'acier

Mais là-bas s'élèvent

Vers les occidents

Les pays de rêve

Les vrais Chanaans

Là-bas s'illuminent

Les sommets royaux

Et gisent les mines

Des réels joyaux

Là-bas Jean sans Terre

La foule t'attend

Où l'homme se terre

Loin des éléments

Un nuage rose

Glisse doucement

Et couvre de roses

Tout un continent

Qu'il est difficile

D'être seul et grand !

Là-bas mille villes

Te rappellent : Jean !

Vite il faut descendre

Plein de repentir

Dans la nuit de cendre

Aller se blottir

Là-bas Jean sans Terre

Pas ici ! Là-bas !

Sont le joies entières

Là où tu n’es pas !

[La Chanson de Jean sans Terre p.19 à 23]

          

Jean sans Terre devant le Miroir

Jean sans Terre a l'âge

Du Christ mis en croix

N'a aucun message

N'a aucune foi

N'est-il qu'un pauvre être

Qui mange et qui boit

Sans jamais connaître

Le monde et le moi ?

Tous les jours il baigne

Dans l'eau du miroir

Mais quand lui enseigne

T-elle à mieux se voir ?

O Jean de la Terre

Regarde ton corps

Statue de poussière

Aux mille ressorts

Arbre dont la sève

Monte et redescend

Et monte sans trêve

Trente trois printemps

Des racines roses

Au feuillage blond

Ta métamorphose

Embrase le tronc

Au bout des artères

Fleurissent les nerfs

Et les capillaires

Baisent l'univers

Ecoute l'aorte

Sonner l'avenir

Et les quatre portes

De ton cœur s'ouvrir

Ferme les paupières

Et tu trouveras

Entre tes frontières

Le clair au-delà

Le vent d'Est dilate

Tes heureux poumons

Ailes écarlates

Qui t'emporteront

Statue de poussière

Fontaine de sang

Homme de la terre

Toujours vieillissant

Sache aussi l'obscure

Loi du végétal

Qui de créature

Te fera cristal

Sous les fontanelles

Bout à petit feu

Ta tendre cervelle

Qui fabrique Dieu

Mais dans les orbites

De tes yeux déserts

Une peur habite

Montée des enfers

Le mince sourire

De ta lèvre feint

Le calme quand l'ire

T'étouffe et t'étreint

Toute ta carcasse

Se comble de nuit

Quand ta bouche lasse

Remâche l'ennui

Bien que ta pupille

Boive le Zénith

Ton foie brun distille

Le fiel du dépit

Tandis que ta tête

Frustre l'animal

Ton tremblant squelette

Sombre dans le mal

Ton plus doux délice

Ton plus rude effort

Ton plus secret vice

Ressemble à la mort

Hurle d'espérance

Vulnérable ver

Lorsque ta semence

Libère ta chair

Ta mesure intime

Toujours se défait

En aveugle urine

En mousse de lait

Et soudant le cycle

Toujours souverain

Ton sperme qui gicle

Seul te rend divin

Ainsi Jean sans Terre

Hais et connais-toi

Ombre de matière

Captive du Moi


[ La Chanson de Jean sans Terre p.24/29 ]

Jean sans Terre rencontre Ahasver

Un jour Jean sans Terre

Rencontra Ahasver

L'authentique frère

Du vieil univers

Ahasver promène

Son long paletot

De fête en semaine

De temple en ghetto

De New-York au Caire

Il se sent chez lui

Seul propriétaire

De cet aujourd'hui

Puisque Dieu existe

Et qu'il l'a béni

Et que s'il n'existe

Pas : l'homme l'élit

Car en cas de doute

Il vaut mieux prier

La prière coûte

Moins que la pitié

Il aime la terre

Et ses devenirs

Les herbes amères

Du doux repentir

Il aime la carpe

Au vinaigre, au miel

Il aime la harpe

Du rude Ezéchiel

Il aime le rite

Et la liberté

Il aime aller vite

En solennité

Il aime la haine

Le fiel qui surit

Tout ce qui déchaîne

Son plus grand mépris

Il possède un trône

Dans chaque ghetto

Mais il vit d'aumône

Et d'immenses mots

Quand de l'Amazone

Soudain il revient

Dans sa rue personne

Ne lui cache rien

Il est le prophète

Qui connaît l'amour

Mais il l'interprète

Autrement toujours

Il voit de sa plèbe

Au regard honteux

Monter un éphèbe

Très majestueux

Fils de diamantaire

Son œil de diamant

Coupera les pierres

Et l'orgueil des grands

Pour venger des pères

L'incurable ban

Révolutionnaire

Il boira le sang

Sous la porte basse

lentement sa soeur

A la peau trop grasse

Sent mûrir son cœur

Ruth et Rachel vivent

Dans ce pur profil

Toutes les eaux vives

Du Jourdain au Nil

Car son sein prospère

Garde la vertu

Des puissantes mères

Du grand peuple élu

Sous le ciel opaque

Du ghetto maudit

Six-millième Pâque

Tu leur resplendis

Tous sont soeurs et frères

Toujours renaissants

Par la primevère

Du nouveau printemps

Tout un peuple en transe

D'un cri qui sent l'ail

Pour sa délivrance

Appelle Adonaï

Après tant de jeûnes

Ahasver le pieux

Invite le jeune

Jean au vin de Dieu

Il pile l'épice

Il tue l'agneau blond

Joyeux sacrifice

Aux saintes saisons

Le pain de souffrance

L'espoir de l'œuf dur

Tout devient cadence

Chant sanglant et pur

Mais demain encore

L'homme de mille ans

Ira vers Gomorrhe

Porter son tourment

Ainsi Jean sans Terre

Connut Ahasver

Peut-être son frère

Sûrement sa chair


[ La Chanson de Jean sans Terre p.30 à 36 ] 

         Don Juan sans Terre et sans Femme


Don Juan sans Terre

Aime mille et trois

Femmes . Mais il erre

Sans faire son choix

Aime-t-il la neuve

Aux yeux d'écureuil ?

Aime-t-il la veuve

Rose sous le deuil ?

Aime-t-il la moire

D'une avide chair ?

La tulipe noire ?

La pulpe d'enfer ?

Veut il la grenade

Aux trente-six coeurs ?

La blanche naïade

Aux trente-six soeurs ?

La Diane du Louvre

Maîtresse du vent ?

Celle qui s'entrouvre

Au toucher du gant ?

La grasse banquière

Assise au balcon ?

Ou la boulangère

Aux taches de son ?

Voici Gabrielle

Au cou duveté

Qui sous son aisselle

Héberge l'été

Veut-t-il l'améthyste

D'un ongle irisé ?

Ou le genou triste

D'un bronze brisé ?

Voici l'anémone

A l'odeur d'encens

Et voici la nonne

Brûlée des cinq sens

Est-ce un oeil oblique

Qui le rend dément ?

La fille publique

Qui toujours consent ?

Don Juan : tu aimes

Ce que tu n'as pas

Mais la chair est blême

Qu'hier tu palpas

Brûle ta légende

D'invincible amour

L'absence est plus grande

Que vaincre toujours

Oh pour te rendre ivre

Don Juan le bel

Détruis et délivre

L'ennui éternel

Furieux infidèle

Ne sois jamais là

L'absence a des ailes

Tu n'as que des bras

Fuis de tant de hanches

L'étroite prison

Fuis ! Prends la revanche

De tes pâmoisons

Même Cléopâtre

Au serpent d'émail

Te ferait un âtre

De son gai sérail

Cependant Pégase

Hennit dans les prés

Vers d'autres extases

Du soir diapré

Caresse l'épaule

D'un pic virginal

Et séduis des pôles

Le sein glacial


Défie la tempête

Et le vent viril

Engouffre ta tête

Dans les nus du Nil

Don Juan sans Terre

Sans femme sans rien

Qui rien ne vénère

Homme vénérien


[La Chanson de Jean sans Terre p. 37] III/42

Jean sans Terre devant le Printemps et la Mort

Jean sans Terre : embrasse

De tes bras serrés

Les saisons qui passent

Passent sans arrêt

Car la vie remonte

De toute les morts

Car le doute a honte

Et la nuit a tort

Quand l'ardente aurore

Immuablement

Ranime et redore

Tout commencement

Entre l'herbe sèche

Du moindre talus

S'élance la flèche

Du premier crocus

Curieuse petite

A l'œil étonné

La pieuse hépatite

Prie au bord des prés

Ecoute les cloches

Du muguet pascal

En tends sous la roche

L'orgue du cristal

L'assemblée des aulnes

Devant le ruisseau

Répète les psaumes

Du règne nouveau

Pour ses fiançailles

Le champ reverdi

Frappe les médailles

D'or du pissenlit

Les plus pauvres saules

Et les plus bossus

Portent sur l'épaule

L'oiseau revenu

Oh toi qui termines

Bientôt ton destin

Chargé d'albumine

Mordu de chagrin

Toi qui sens ta corne

Lentement durcir

Le cheveu qui t'orne

Déjà s'alanguir

Qui entends la nacre

De ta dent sauter

Que nul simulacre

Ne pourra sauver

Toi qui dans la moelle

Pourrie de tes os

Sais que ton étoile

Te voue au chaos

Est-ce toi qui chantes

Le long du chemin

Où les communiantes

S'en vont le matin ?

Toi qui t'agenouilles

Dans le trèfle blanc

Et du crâne fouilles

Le sol odorant ?

Oh ta grosse tête

Lourde : penche-la

Sur la violette

Qu'un bourdon viola

Car tu n'es pas autre

Que ces végétaux

Bagnard ou apôtre

Toi qui mourras tôt

Sache que ton âme

Toujours renaîtra

Dans le cerf qui brame

Dans le mimosa

La riche semence

De tes yeux taris

Croîtra d’abondance

Dans les myosotis

L’inquiète ancolie

Aura la couleur

De mélancolie

Qui teignait ton cœur

Lorsqu’un jour trois mètres

De terreau tassé

Couvriront ton être

Calme trépassé

Pauvre Jean sans Terre

Tu ne diras pas

Que tu es sans terre :

Tu l’embrasseras         [La Chanson de Jean sans Terre p.43 à 48 ]


Jean sans Terre aux Enfers


La nuit d'anthracite

Au cœur de sang noir

Dénonce le mythe

De nos pourrissoirs

Avant les aurores

Qui luiront demain

Dorment les Gomorrhes

Et leurs assassins

La ville s'enfonce

Dans son lit de poix

Et ses dieux de bronze

S'effondrent sans poids

La foule des ombres

Du peuple stygien

Qui monte et encombre

Les rives du Rien

Et , coulée compacte

Indomptable flot

Fonce en cataracte

Au fond des métros

Debout ingurgite

De tristes menus

A prix fixe et vite

Se rue vers le rut

Sur la neige noire

Dans la boue de sang

Fonctionne la foire

Du sexe agissant

Ecoute la plainte

Des vieux traversins

Sous la basse étreinte

De couples malsains

En vengeant la souche

Jetée aux enfers

Chaque fausse couche

Tue un Lucifer

Sous le tampon d'ouate

Du brouillard iodé

Déjà se frelate

Quelque suicidé

Mais les mille lunes

De ces souterrains

N'éclairent aucune

Cause du destin

Les murailles suintent

Des toits jusqu'au sol

De pluie et d'absinthe

D'urine et d'alcool

Le vert du salpêtre

Et le vert-de-gris

Ornent les fenêtres

Louches des taudis

Incruste-toi : teigne

Dans le zinc, le fer

Dans la peau qui saigne

Des reines d'hier

Le pain devient peine

Vinaigre le vin

Ainsi se gangrène

Tout ce qui fut sain

Ville qui t'engraisses

De rognons sautés

Bavante déesse

De l'humanité

Je serai ton chantre

Et ton fossoyeur

Ville je t'éventre

Et rôtis ton cœur

Ville je t’étripe

Je jette tes gras

Doubles et tes tripes

Et ta rate aux rats

Voici ta Gomorrhe

Sous sa pluie de sang

Mais avant l'aurore

Tu la fuiras Jean !

[La Chanson de Jean sans Terre p.49 à 53 ]


Jean sans Terre annonce l'Avenir


Jean sans Terre en rade

Des pays d'outre-Est

Mon grand camarade

Lâche tout ton lest

Ici les visages

Soleils de l'Orient

Portent le message

Du commencement

Ici homme ou femme

Montre à son chandail

Son étoile en flamme

Produit du travail

Ici s'échafaude

Le pont suspendu

Des assemblées chaudes

A l'individu

Ici Jean sans Terre

Reconnaît enfin

Les hommes sans terre

Et pourtant sans faim

Les hommes sans terre

Possèdent bien plus

Qu'un coin de poussière

Et de détritus

Les hommes sans terre

Possèdent la clef

Des monts aurifères

Et des champs de thé

Les hommes sans terre

Possèdent le plomb

Le feu et la pierre

Qui scellent le pont

Les hommes sans bourse

Possèdent la mer

Le fleuve et la source

Du vieil univers

Les hommes sans vice

Possèdent le cœur

Et le sacrifice

Le rêve et l'honneur

Les hommes sans haine

Rient comme tu ris

Et le rire entraîne

Tout le paradis

Rire avec les lèvres

Rire avec le nez

Rire avec la plèvre

La rate et les pieds

Pourquoi ne pas rire

Puisque le matin

Les nuages virent

Vers le bon chemin

Pourquoi ne pas rire

Puisque les oiseaux

Dans le ciel chavirent

Puisque les troupeaux

Produisent la laine

Les fleuves le thon

Et les grandes plaines

L'aimable coton

Pourquoi ne pas rire

Puisque ton grand corps

Remue et respire

L'amour et la mort

Riez donc mes frères

Aimez-vous enfin

Et sur votre terre

Vous n'aurez plus faim

Vous n'aurez plus peine

Vous n'aurez plus peur

Riez d'une haleine

Riez tous en choeur

Jean qui fus sans terre

Sans ville et sans dieu

Embrasse la terre

Des frères joyeux


[ La Chanson de Jean sans Terre p.54 ]      

  Editions POÉSIE & Cie, 24 juin 1936

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