Voyage au pays de Misère LesEnfers - 1919

            Voyage au pays de Misère  LesEnfers - 1919

Combien poigne le cœur la solitude humaine,

quand les paysages de toi se détournent avec la même douleur

et s'abîment en eux-mêmes, indifférents.

Quand, petite, une gare te chasse sous la pluie froide,

et qu'un fourgon vide, sans avenir, t'aborde pour mendier.

Un vieux cheval se traîne sur les labours sombres,

oh, s'il savait que tu existes,

que tu l'aimes, il lui pousserait des ailes bleues pour l'envol.

Parfois, l'eau te regarde de ses grands yeux,

et comme elle n'a pas vu ton sourire,

elle retombe, insipide et triste, en elle-même.

C'est ainsi que tu laisses tout à sa solitude.

Ton destin t'entraîne ailleurs. Eternellement

la vieille bossue sur son trottoir se retournera sur toi,

l'affiche qui crie sur le mur penché restera inconsolée .

Tu laisses tout à sa solitude, à son humilité d'amour vacant,

tu sais pourtant, solitaire, qu'une ville t'attend

où tu pleureras toute la nuit dans un hôtel pas cher.

Yvan Goll : L'VII, n° 31- Bruxelles 1967 (18 vers, inédit p. 57)

voir la traduction de Jean-Claude Schneider p. 67 dans

Yvan Goll Oeuvres I - Emile-Paul 1968