Recueil Le Char Triompal de l'Antimoine 1949
Le Char triomphal de l’antimoine
I
LE GRAND ŒUVRE
A manipuler le mercure
Mes doigts inhumains devenus
Transparents et chastement nus
Je méduserai la nature
Le lion vert est ma monture
Et pourquoi me bouderais-tu
Sel démasquant toute vertu
De ceux que la chair défigure
Ma main dans la gueule du feu
Et sur les balances de l'eau
Mon cœur mordu par l'élément
Je me dissous alertement
Revêtu de mon seul halo :
Naître et n'être qu'insulte à Dieu
II
AZOTH
Dans l'arbre où chante le pendu
L'œuf de Saturne choit du nid
Et roule jusqu'à l'infini
Brisant les cercles défendus
Tyran qu'innocemment je sers
Le métal est un grand dément
Je le libère imprudemment
Qui de nous deviendra le cerf ?
La rose naît du minerai
Du poisson s'élève l'esprit
Que j'adore et dévorerai
O démiurge sans abri
Le feu d'Egypte me nourrit
Et le roi rouge m'apparaît
III
L'ARBRE SEPHIROTH
Dix sont les fruits aux bras de l'arbre Séphiroth
Dix les métaux du corps recelant la Splendeur
Dix les sels de l'esprit nourriciers de la Fleur
Qui prépare mon âme aux puissances d'Azoth
La pomme du pouvoir rondit en mon cerveau
Et le vin de mon cœur inspire l'Infini
Les yeux de l'émeraude aux yeux de chair unis
Allumeront en moi les fibres du Flambeau
Descendez Séraphins l'escalier vertébral
Où la nèfle du foie et le soufre natal
S'oxyderont un jour pour créer la Beauté
Cèdre de ma Rigueur Arbre de Royauté
Par tes racines monte un alcool jamais bu
Ta Couronne me ceint du suprême attribut
IV
LE FOU
Ne narguez pas le Fou
Qui tourne dans vos têtes
Son chien chasse le loup
Malheureux que vous êtes
L'âne à musique
Exaucera vos quêtes
Son délire tabou
Etoilera vos fêtes
Ami du soufre blanc
L'aveugle le voyant
Fait fondre le soleil
L'obscur sage dissout
En plomb le pur vermeil
Et fait d'amants des fous
V
RAZIEL
Sur les vingt-deux piliers de l'alphabet hébreu
Raziel construit de Verbe une immense officine
Où le mercure chante et l'oiseau se calcine
Exorcisant la pierre apprivoisant le feu
Soixante-douze noms de l'innommable dieu
Au langage arrachés : par le quartz qui fulmine
De voyelles un prisme et l'oeil de cornaline
De lumière et de cris quel appel périlleux
" EL " fait-il " ELOHIM " peinant avec la hache
Avec la fraise avec la diable avec la clé
Moine de l'antimoine et magicien du blé
Raziel le séducteur flattant ce qui se cache
Il assigne il épelle il chante de sa tour
Soixante-douze noms et devra mourir sourd
VI
LE SEMEUR D'HEXAGONES
Le tambour du soleil sonne
A mon front de Lucifer
Chaque saison me couronne
Tantôt d'or tantôt de fer
Paysan de l'hexagone
Aux semailles de l'hiver
Neige miel ou belladone
Je cultive l'univers
L'étoile aux six yeux me toise
Des bas-fonds d'une turquoise
Où grésillent mes vieux os
L'eau qui brûle dans les rhombes
Du cristal traverse en trombe
Mes chairs par mille réseaux
VII
TRANSMUTATIONS
Quelle est la harpe d'azur
Vive aux abîmes du Hartz
A mettre un regard si pur
Aux yeux biseautés du quartz
La montagne frissonna
Aux pas des renards charmés
Dans les prismes des grenats
Saigne mon œil enfermé
Nourri des étés de chrome
Un feu couvé dans ma paume
Donne naissance à l'oiseau
Au soufre des passiflores
Mon sommeil se décolore
Et mon chant calme les eaux
VIII
L'OEUF PHILOSOPHIQUE
La nuit velue ayant pondu
L'œuf de mon crâne - couvaison
Du jaune de ma déraison
Le soleil en mon œil fondu
Bientôt l'oiseau libéré du
Poème oubliant sa prison
Fait bondir les quatre horizons
Mon cœur n'est plus qu'un résidu
Plumage-prisme aux sept couleurs
Ame allumée aux sept douleurs
Tout être se transfigurant
Echappe à sa mesure d'oeuf
Vers l'univers surgi tout neuf
Hors de la coque du néant
IX
LA ROSE DES ROSES
Rose de chair grise en ma tête
Rose-roue au moyeu des âges
Rose des vents et des tempêtes
Tournez tournez pour mon outrage
Rose à lots des mauvaises têtes
Rose noire des charbonnages
Rose-œil des forêts désuètes
Rose-astre enceinte de présages
Rose saadi rose sadique
Rose humaine des Olympiques
Rose-eau dansant sur son écho
O miracle qu'une rose ose
S'ouvrir sous mon regard d'hypnose
Ma racine de Jéricho
X
LE DÉ
Dé ! démence du dieu
En son cube incubé
Avant qu'il soit tombé
Cœur calme au noir milieu
De ses vingt-et-un yeux
Hublots illuminés
Dardant les condamnés
Il chiffre leurs enjeux
1 verbe solitaire
2 noce des contraires
3 règle et nombre d'or
4 dieu mis en cage
5 main d'ambre du mage
6 lasso de la mort
XI
LA FILLE CHASTE D'HÉRACLITE
Figuier de feu ! Rosier d'ÉPHÈSE
La fille chaste d'Héraclite
Une comète en chaque orbite
S'érige en monument de braise
Masque maudit de la fournaise
Tes seins soleils roussis s'effritent
Tes oiseaux attachés s'agitent
Guêpier de feu que rien n'apaise
Fourmis de feu dans tes fourrures
Chiens de feu riant aux morsures
Malheur aux beautés ioniennes
Harpe de cendre ! Mandoline
De feu ! Musique à jamais tienne !
En toi tout pense et te calcine !
XII
LILITH
Lasse de ta lourde origine
Vaine quêteuse de l'oubli
Lilith a fui le double lit
Ah volupté d'être androgyne
Ah délice du pur délit
Quand sur ton coursier qui s'échine
Ton unique sein se calcine
Haletant devant l'hallali
Dans les broussailles du désir
L'abîme devenant abri
Impatiente d'en finir
Tombeau du chaste colibri
Ton cœur délirant de gémir
Enfante le mal de l'esprit
XIII
MEMNON
Pierre tu vengeras la pierre
Scellée en un néfaste Non
Perpétuel ô pur Memnon
De ta souffrance lapidaire
Captif une main de lumière
Vient te frapper d'un double son
Quand l'aurore surgit de son
Abyssale et morne tanière
Ébranle-toi grave statue
Plus puissante de t'être tue
Dans ta matrice souterraine
Ton granit suant un sang rose
Accepte sa métempsychose
Guitare d'or à voix humaine
XIV
ARMOIRIES DE LA PAROLE
Les mots sont les luisantes haches
Pour creuser le puits d'une plaie
Et répandre le sang qu'on sache
Convoité par les roseraies
Un mot jeté dans la balance
Fait déborder le lac qui stagne
Le fléau devient une lance
Et fait s'écrouler la montagne
Sous l'aile immanente de l'aigle
Aveugle je ne m'approprie
Que par le chant l'âme du seigle
Cent soleils dans ma panoplie
Mais les barreaux de l'écriture
M'ouvrent les bans de la nature
XV
CHANSON DE PARACELSE
Avec le sang de l'ellébore
J'ai guéri la démence
Il faut cueillir la mandragore
Au pied de la potence
Les pendus versent leur semence
Pour pervertir l'aurore
La lune donnera naissance
Au prince de phosphore
Du lac gelé de l'émeraude
Jaillit un regard qui corrode
Ma vérité de léopard
Que nul tyran ne m'inféode
Etends sur moi ta main Vieillard
Impénétrable du Zohar
LE CHAR TRIOMPHAL DE L'ANTIMOINE
Editions Hémisphères, Paris 1949