Recueil Multiple Femme 1956
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Multiple Femme 1956 au complet
Multiple Femme I
Pourquoi n'es-tu jamais seule avec moi
Femme profonde, plus profonde que l'abîme
Où s'attardent les sources du passé
Tes mères inconnues, avec des gestes rouges
Discutent notre amour dans la forêt publique
Sur les gradins de leurs villes détruites
Et derrière les portes de ton cœur
On entend des géants monter
Vers le règne absolu de l'homme
Entends-tu ma voix qui chante ton prénom
Au dehors d'une oreille
Habitée d'océans immémoriaux ?
( Multiple Femme , Caractères 1956 p.9) II/277
Liammala
Liammala
A peine pensée
Par sa rosée en fuite
Mouche complète aux antennes vertes
Aux yeux blancs qui craignent
La puissance métallique de la déesse Faal
Vole, mon vertige
Vole ta volute
O mille fois plus convoitée que moi
Par la mort fortifiante
(Multiple Femme , Caractères 1956 p.10 ) II/278
Chrome
Descends aux durs été de chrome
Etés inextinguibles Extases inassouvies
J'ai soupesé le feu lourd
Dans ma paume de soie
J'ai caressé le feu malheureux
D'avoir brûlé ses plumes bleues et jaunes
Je suis descendu plus avant
Palier par palier
Dans sa souffrance capitale
Dans son opacité d'aveugle
Tombeau de feu
O chrome
Où donc s'attarde ton amoureuse chute ?
Où donc t'attend la fébrile source Ollor ?
(Multiple Femme , Caractères 1956 p.11) II/278
La Plaie
Un mot à peine pensé : c'est frapper une plaie
Dans la chaux vive du mur
C'est répandre le sang sur une tête d'enfant
C'est priver d'innocence
Cette montagne qui ignorait l'écho
Un seul mot jeté dans la balance du monde
C'est insulter le volcan
C'est faire déborder le lac
Qui s'apprêtait à regarder en face le Dieu
(Multiple Femme , Caractères 1956 p.12) II/280
Marché Noir
L'alcool jaune de la folie emplit les plus anciens étangs
L'aigle au duvet pouilleux souffre de l'affront de la faim
Et la terre humiliée
N'a que la profondeur des tombes
Quel pêcheur me vendra le poisson de chimère ?
Quel boulanger cuira mon dernier pain ?
La nuit la femme passe à son amant
La peur qui dormait sur son sein
J'ai vu le monôme des rois dans la Rue Basse
Alphonse Edouard Carol Humbert et les quatre rois du jeu de cartes
Jeter leur couronne rouillée
A la vieille ferraille
(Multiple Femme , Caractères 1956 p.13) II/280
MON CORPS MA TOMBE
Mon Corps ma Tombe
Où sèchent des oiseaux avant leur chute
Où tout le sang répandu par un coq
Ne fait point une aurore
Mon Corps mon Mur
Qui me sépare des eaux savantes
Il se passe d'étranges métamorphoses
En moi sans moi
(Multiple Femme , Caractères 1956 p.14) II/282
Oseille
J'ai mis mes oeillères d'oseille
Pour me nourrir de terre noire
Pour mieux humer l'ozone
Charrier un sang plus vert
Que chair de bégonia muscle de géranium
Je m'enoseille
Je convertis le carburant soleil
En liqueur à mouches en émeraude à vent
J'ai fermé mes paupières d'oiseau
Pour mieux voir pour mieux sentir
Le secret de la terre
Penseur je me dépense
Je vous dis adieu : nuages bronzes désespoirs
(Multiple Femme , Caractères 1956 p.15) II/282
Course de Fond
Tandis que la main de ma montre pointe vers la mort
L'hélice du navire a fait l'amour avec combien de vagues
Et la roue du cycliste s'est accrochée à la roue du soleil
Le sable rose de ma vie tombe dans le vide
Le chant de mon cœur fait en vain le tour de la pitié
Je n'en peux plus Je lâche prise
La Terre a une trop grande avance sur moi
(Multiple Femme , Caractères 1956 p.16) II/284
Ur et Sichem Calcinés
Plus de bornes pour l'espoir . Fauchés tous les arbres
Le lasso des routes se ferme sur le vent .
Calcinés Ur et Sichem . Paris moins que cendres,
Eclair pressenti de ton silence .
Rares les regards qui osent frôler l'évidence
Plus d'issue pour mes raisons . O vide ganté de gloire !
Durcis ma prunelle pour soutenir l'innommable,
Mes yeux assiégés par les terreurs d'avant toi.
Je te voyais descendre des marches à venir,
Mais l'œil des nomades dit : Maintenant .
Un lambeau de soleil tremble dans ton sourire.
Mon visage te soutient d'un vieux reste d'amour.
Tu viens de bien plus profond que nos domaines.
Je te ris de bien plus loin que mes larmes.
(Multiple Femme , Caractères 1956 p.17) II/284
Faal
De notre balcon de Choesroes
Nous regardons la jeune lune
Chasser le soleil fatigué dans sa tanière
Les fleurs bleuissent et se fanent
Les poissons meurent
Nourris de nos pêchés
Je tiens ta main d'ivoire
Les irradiations de la lune
L'ont changée en une branche de corail
(Multiple Femme , Caractères 1956 p.18) II/286
Le Balcon d'or d'Ihpétonga
Laissons partir à tout jamais le grand bateau
Qui reviendra quand cette vitre
Sera brisée en rides centrifuges
Et l'œil derrière la vitre
Plus tari qu'un raisin sec
Il reviendra le bateau chargé de pistaches
Et d'épices tropicales
Et le mécanicien cherchera la vitre brûlante
Pour la montrer à la Portoricaine
Mais ce soir-là elle sera noire
Remplie de mort
Plus rien qu'un trou béant dans la brique
(Multiple Femme , Caractères 1956 p.19) II/286
La Ville de Hor
Voici la Ville de Hor
Dont j'ai connu l'odeur de soufre
Avant d'y naître
J'ai disséqué les chairs orange de l'aurore
Avant d'en faire ma femme
A midi toute les Tours entremêlaient
Leurs cheveux de seigle car la campagne
Nous était favorable
Il y avait des coqs il y avait des corneilles
Qui nous aidaient à lire les signes du sang
Je suivais tantôt les cortèges blancs tantôt les noirs
Car les jours se succédaient
Mais les années brisaient leurs anneaux
Il y avait des incendies dans la Ville de Hor
De grandes fleurs jaunes dans les jardins publics
Bientôt une autre aurore se mit à disséquer mes chairs groseille
Avant d'ouvrir les portes de l'Hôpital
( Multiple Femme , Caractères 1956 p.20 ) II/288
L'oiseau-Dieu
Les métaux et les herbes de ton alchimie
Sont la substance de mes jours
Vécus sur ton étoile neuve
J'habite ta montagne rose
L'or que j'y mine nuitamment
N'est pas celui des philosophes
Les baobabs ont le temps de mourir
Et les aigles de naître dans leurs nids
Tandis que notre amour mûrit comme un orage
Après nous — sur l'eau calme
Chantera l'oiseau-dieu
( Multiple Femme , Caractères 1956 p.21 ) II/290
Pourquoi ne te perçois-je
Malgré mes mille miroirs mes mille yeux
Pourquoi ne te perçois-je
Qu'à travers les barreaux de l'écriture
Dans la prison du triangle dans la perpétuité du cercle
Où dans le désert de la page blanche ?
Je mange l'œuf et l'aile de l'aigle
Mais je ne m'approprie
Que par le Mot
Ce qui m'échappe
Par la passoire des cils et des mains
( Multiple Femme , Caractères 1956 p.22 ) II/292
SOLLUNE
Femme anti-femme
Remonte de ton âge occulte
Pour établir ton double règne
De tes deux seins
Verse les deux principes
Lait rouge de la force
Vin blanc de la faiblesse
Androgyne Sollune
Beau corps de citronnier
Fleur à l'oreille droit
Fruit à la hanche gauche
Pour l'amour du néant
Au jeu de l'écarté
Epouse et trompe le Moi-Monde
( Multiple Femme , Caractères 1956 p.23 ) II/292
Lilith
T'avions-nous oubliée, Matriarche
Ecuyère du manège du monde
Enfourchant le cheval du vent
Et dirigeant d'un seul élan des cuisses
Le cours des ellipses fatales
Les soleils obéissent et bondissent autour de toi
Le frisson centrifuge
Rompt jusqu'à la matrice du diamant
( Multiple Femme , Caractères 1956 p.24 ) II/294
Tristesse Penthésiléenne
Tristesse Penthésiléenne
Oh l'outrageante royauté
De ce sein solitaire
Qui sous l'armure des victoires
Ne tourne plus Ne livre plus
Son lait vert qui sûrit
Son cœur vert qui survit
A sa réalité
( Multiple Femme , Caractères 1956 p.25 ) II/294
Baala I
En toi je tâte la loutre
L'eau fragile qui ruisselle
De mon souvenir de loutre
Une eau claire mais vite disparue
Avant d'avoir dit ton nom
En toi j'aime manger le feu
Qui dort au cœur du tigre
Et dont je caresse les langues bleues et jaunes
Or tu ne m'aimerais pas
Si je n'avais pas mes mains de sel
Mes mains de mer qui ont la cruauté
De la vague avilissante
Mes mains que tu connais bien
Et que je ne connais pas moi-même
Que je me coupe si je les regarde
Mes mains aux sinuosités de sable
Mes mains affamées comme des hirondelles
Mes mains ces éventails menteurs
Mes mains bénies de cette poussière mordorée
Qui attire les phalènes
Et qui ont au bout des doigts
L'huile de la perfection
( Multiple Femme , Caractères 1956 p.26 ) II/296
Baala II
C'est toi qu'attendaient les herbes savantes
Et les onyx mystiques
Femme-oiseau d'ultra-monde
Les deux hélices de tes seins
Tournant à toute démence
Viens habiter mon corps-cage
Ma chair veut plaire à ton palais
Comme du pain bien doré
Suis-je ta Tour ou ton Jardin ?
Tous les amours me brûlent
Jeune Viracocha ou Vieillard du Zohar
( Multiple Femme, 1956 p.27 ) II/298
Ton corps
Ton corps que j'avais allumé pour mon bûcher
Ton corps bien clos comme une glacière
Où je conservais mon feu vivant
En l'ouvrant après une courte absence en moi
Je le trouvais rempli de dangers
Derrière la porte de ton cri
Se cachait le meurtrier à la main de plâtre
Dans les galeries de tes dents
Des loups des loups riaient à la mort
Je montais plus haut
Hélas les locustes du désir avaient rongé
Les fruits de tes yeux
Et les cigales de nos étés
Scié la branche du pardon
( Multiple Femme, 1956 p.28 )II/290
Femme aux yeux innombrables
La nuit sous tes paupières fermées
Me regardent tes yeux de mica
Tes yeux de voyante
Je ne suis jamais certain de ma solitude
Tes yeux portés par les phalènes
Se posent sur moi et scrutent mon rêve
Ma femme d'extrême lucidité
Fulgurante comme le quartz
A travers mes sommeils
( Multiple-Femme , Caractères 1956 p.29) II/298
SUR LA MER DU SOMMEIL
Sur la mer du sommeil
Ta cuisse est le modèle de toutes les vagues
Roulant vers les passés futurs
A la mesure de ton souffle
La vague universelle
Respire et meurt
Cousine des cyclades
Filleule de la grande Anadyomène
Fais-moi perdre ce visage d'homme
( Multiple Femme , Caractères 1956 p.30 ) II/300
ES-TU REELLE
Es-tu réelle ? Toi qui me regardes
D'un feu bleu qui ne me voit pas
Plus je t'approche, plus tu sombres
Au ravin des préexistences
Les forges clandestines de ton cœur
Trempent des armes contre moi
Viendront les pluies de solitude
Où la forêt émoussera ton cœur
Ta chair de rose — tes cheveux d'oiseau —
Ta voix de source : adorée, où es-tu ?
( Multiple Femme , Caractères 1956 p.31 ) II/300
NOUVELLE CONSTELLATION
Chaque minuit je me réveille
De nouveau seul au bord du précipice
La terre a tourné vainement
La mer a laissé sur les sables
Ses conques vides
Je te cherche parmi mes joies d'hier
Où es-tu ?
Où es-tu ?
Le vent prétend qu'il ne t'a pas connue
La source folle a oublié ton nom
Soudain, au tableau noir du ciel
Se dessine ta forme sidérale
Nouvelle constellation
La joie d'astronomes futurs
l
C a
i
r
e
( Multiple Femme , Caractères 1956 p.32 ) II/302
DU NORD AU SUR
Petite Claire au bras du grand Obscur
Couple journellement en fête
Au cœur unique géré par deux têtes
Embrassons-nous du Nord au Sur
Brûlons au front le diamant sidéral
Aux lèvres la pulpe garance
Nos poignets encore marqués par les lances
Portent le bracelet d'Aldébaran
Si nos genoux sont moulus par la route
Des inlassables solitudes
Et par les sables dévorants du doute
Nos quatre pieds libre comme les fers
De l'alezan vainqueur des latitudes
Circonvolent en chantant l'univers
(Multiple Femme , Caractères 1956 p.33) II/304
Femme-forêt
Femme-forêt
Forêt-femme
Me frôlant de tes foulées de renarde
Me nourrissant de tes yeux bleus de peur
Comme les mûres noctambules
Ton sang frais de fraise écrasée
Sucre les mots dans ma bouche-brasier
Je suis le bourdon mangé par ta rose
Le pluvier bu par la source féroce
A tous les Clairs de lune
Substituant ton Clair de Claire
( Multiple-Femme , Caractères 1956 p.34) II/304
AMOUREUSE! AMOURANTE!
Ah roseraie de tant d'étés
Où trois cent variations d'aurores
Renouvelaient l'amour le jour
Combien d'abeilles exilées
Combien de pluies exorcisées
Dans les rosiers de tes veines
Malgré la raison des saisons
Dans la folie de ta chair
L'oiseau-minute chantait chantait
Alors que déjà se sculptait
La solitude de ton crâne
Le Paestum dessous la neige
La mort submergeait tes vallées
La tristesse ta gorge
La grande cécité tes yeux
Amoureuse! Amourante!
( Multiple-Femme , Caractères 1956 p.35) II/306
DOMPTEUSE DE L'ECLAIR
En vain l'orage a lancé à tes trousses
Ses poumons électriques
En vain la peur de la montagne
A fait trembler tes mousselines
Cent mille roses de dégâts
Le grand rocher décapité
La maison fendue jusqu'à l'âtre
Mais quand l'orage voulut te toucher
O Claire de clairière
Dompteuse de l'éclair
Ton cœur de diamant
L'a mis en fuite de son prisme pur
( Multiple-Femme , Caractères 1956 p.36 ) II/308
TU ES LE REGARD
Tu es le regard qui m'attend du fond des siècles
La pervenche aux yeux sans paupières
Qui me guette à tout printemps
Tu es la pierre qui gît
Sur mon chemin depuis les origines
Toujours toujours tournée vers ma venue
Qui se perd dans le soir
L'éternelle vallée
Allongée dans l'attente —
Que la montagne enfin s'effondre dans la gentiane !
( Multiple-Femme , Caractères 1956 p.37 ) II/308
Multiple Femme II
Multiple Femme
Tu n'es jamais seule avec moi
Dans les ruelles de ton être
Tes mères se rassemblent
Discutant notre amour selon leur loi obscure
Comme au marché sur la balance d'astres
Pesant la pourpre de mon sang
Tâtant le tissu de ma chair
Elles te dictent le conseil des vieilles
Et ton cœur malgré lui
Applique leurs poids et mesures
Pour jauger mon regard
(Caractères 1956 p.38 ) II/310
FIN