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Poèmes Yvan Goll
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30 novembre 2008

Chant des Cyclopes

Chant des Cyclopes

Redeviens cyclope

Frère au front poli

Rebâtis d'Europe

Le rêve aboli

Tandis que la Seine

Pousse aux océans

Son eau vieille et vaine

Cherchant le néant

Noirs jusqu'aux racines

Les arbres déments

Boivent la benzine

En guise de vent.

Haleines d'oxydes

Baisers de lysol

Hâtent le suicide

De ce grave sol.

Or il faut que lèvent

D'un nouveau purin

Les magiques sèves

De ses souterrains.

Il faut des miracles

Des sangs mélangés

Des phares qui raclent

Ces hôtels âgés

         Tandis que la Seine

         Pousse aux océans

         Son eau vieille et vaine

         Cherchant le néant.

Délivré du doute,

Peuple mal aimé,

Marche sur la route

De l'esprit armé.

Toi sous les médailles

D'astres redorés

Suis les funérailles

D'un siècle abhorré.

Verse les pétroles

D'or sur la cité

Et les auréoles

D'électricité.

Sur cent mille tonnes

D'horrible béton

Monte la colonne

Que nous habitons .

Tant de mètres cubes

De mortel plâtras,

Font qu'un jour Hécube

Ressuscitera.

         Tandis que la Seine

         Pousse aux océans

         Son eau vieille et vaine

         Cherchant le néant.

Au ballet des sphères

De furieux kobolds

Fécondent la terre

De millions de volts.

Des dômes de cuivre,

Couvant l'œuf de feu,

Suent un ardent givre

Et des blizzards bleus.

Autour de nos têtes,

Chacune un soleil,

Tourne des planètes

L'antique appareil.

         Tandis que la Seine

         Pousse aux océans

         Son eau vieille et vaine

         Cherchant le néant.

Mais l'Homme de verre

Plus astucieux

Que la chair espère

Renverser les cieux.

Voici l'Homme ! Admire

Au cirque du sang

L'éternel délire

Des temps renaissants.

Voici la machine

De la vérité;

La rate et l'échine

Des dieux hérités.

Voici l'os où loge

L'ultime ressort

Et voici l'horloge

Qui compte la mort.

         Tandis que la Seine

         Pousse aux océans

         Son eau vieille et vaine

         Cherchant le néant.

Au secours ! Génies !

A ce temps bâtard !

Des cosmogonies !

Et des liqueurs d'art !

Plus haut les cothurnes !

Marbres : plus humains !

Que le bon Saturne

Trace nos chemins !

Danseur, je t'écoute !

Ton pas fait chanter

L'élastique croûte

De ce sol hanté.

Et de vingt-cinq langues

Le choral ailé

Réveille l'exsangue

Globe écartelé.

J'allume les astres;

J'allume la Tour

Dressant le cadastre

Du total amour.

         Tandis que la Seine

         Pousse aux océans

         Son eau vieille et vaine

         Cherchant le néant.

Ivan Goll dans La Vie Réelle I - 1938 : Construire ( Chant des Cyclopes p.17)

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