Don Juan sans Terre et sans femme
Don Juan sans Terre et sans femme
Don Juan Sans Terre
Aime mille et trois
Femmes. Mais il erre
Sans faire son choix
Aime-t-il la neuve
Aux yeux d'écureuil ?
Aime-t-il la veuve
Rose sous le deuil ?
Aime-t-il la moire
D'une avide chair ?
La tulipe noire ?
La pulpe d'enfer ?
Veut il la grenade
Aux trente-six coeurs ?
La blanche naïade
Aux trente-six soeurs ?
La Diane du Louvre
Maîtresse du vent ?
Celle qui s'entrouvre
Au toucher du gant ?
La grasse banquière
Assise au balcon ?
Ou la boulangère
Aux taches de son ?
Voici Gabrielle
Au cou duveté
Qui sous son aisselle
Héberge l'été
Veut-t-il l'améthyste
D'un ongle irisé ?
Ou le genou triste
D'un bronze brisé ?
Voici l'anémone
A l'odeur d'encens
Et voici la nonne
Brûlée des cinq sens
Est-ce un oeil oblique
Qui le rend dément ?
La fille publique
Qui toujours consent ?
Don Juan : tu aimes
Ce que tu n'as pas
Mais la chair est blême
Qu'hier tu palpas
Brûle ta légende
D'invincible amour
L'absence est plus grande
Que vaincre toujours
Oh pour te rendre ivre
Don Juan le bel
Détruis et délivre
L'ennui éternel
Furieux infidèle
Ne sois jamais là
L'absence a des ailes
Tu n'as que des bras
Fuis de tant de hanches
L'étroite prison
Fuis ! Prends la revanche
De tes pâmoisons
Même Cléopâtre
Au serpent d'émail
Te ferait un âtre
De son gai sérail
Cependant Pégase
Hennit dans les prés
Vers d'autres extases
Du soir diapré
Caresse l'épaule
D'un pic virginal
Et séduis des pôles
Le sein glacial
Défie la tempête
Et le vent viril
Engouffre ta tête
Dans les nus du Nil
Don Juan sans terre
Sans femme sans rien
Qui rien ne vénère
Homme vénérien
[ La Chanson de Jean sans Terre (1936) p. 37 ] JST Seghers1957 p.95 à 98