Jean le Fleuve
Jean le Fleuve
Fleuve sans Terre, ohé ! Route de Jean sans Terre
Qui passe sans choisir entre les rives
Rivales et cependant solidaires
L'Est-Ouest, le Oui-et-Non, la jeune et la tardive
Est-il justicier des cris et des silences ?
Lui qui connaît la gestation des sources,
Il pose aux vents la question de confiance
Et aux oiseaux un schéma de leur course.
A droite il voit Ninive et ses balcons vieillir
Et les vieux rois jetant leurs rubis à la masse,
Les palais du pouvoir lentement se trahir
Et la pluie éplumant l'aile de Samothrace.
Sur l'autre rive il voit les Amazones
Se baignant librement dans ses vagues stygiennes
Leurs grands yeux francs, nourris de belladonne,
Percent l'ancien secret de regards qui retiennent.
Pêcheurs et riverains debout devant leurs chaumes
Voient le fleuve passer sans jalouser sa gloire,
Qu'il cherche donc l'esprit au bout d'autres royaumes,
Ils pêchent le goujon : ils ont du cidre à boire.
Fleuve sans Terre à la vague éphémère
Il descend vers sa mer, sans douter ni choisir
Entre la paix à droite et à gauche la guerre
De l'aube du désir au soir du souvenir.
JST Seghers 1957 p.139/140