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Poèmes Yvan Goll
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2 décembre 2008

Jean sans Terre féconde la Mer

Jean sans Terre féconde la  Mer

Démène-toi ma superbe cavale

Aux yeux d'écaille aux nobles naseaux

Fais trembler ma coque des mâts aux cales

De tous tes feux et de toutes tes eaux

Je mâterai ta mauvaise nature

Mer entêtée et je serai ton preux

J'ignorerai ton luxe et ta luxure

Et jusqu'au tréfonds de ton sexe bleu

L'assaut de tes écumes péremptoires

De tes faux granits de tes faibles plombs

Tous les métaux de ta volonté noire

N'useront pas mes nerfs de violon

M'ouvrant ta lèvre toujours retroussée

Tout mon amour ahane à t'assouvir

Ta vague avide et si vite émoussée

M'épouse et me vide à chaque soupir

Je bats ton lait Je fais mousser tes crèmes

Je frappe tes tokays et tes bordeaux

J'ai mélangé les liqueurs extrêmes

Et ne suis que l'ivrogne de tes eaux

Je brasse tes levains et tes levures

Pâte de mer dont je ferai mon pain

De tes bouillons de lave et de mercure

Montera le prophète de demain

Et je parcours tes villes de chimère

Au son des cloches de scaphandrier

Par des rues froides perpendiculaires

Où les polypes sont tes ouvriers

Mais bientôt douce mer tu deviens mère

Ayant calmé l'originaire élan

Et tu transformes l'amour éphémère

Par la douleur amère de tes flancs

Tu couves la jeunesse des sardines

Et tu surveilles la vertu des thons

Il te faut observer la loi marine

Où les méchants dévoreront les bons

Tu doses les venins de la rascasse

Tu huiles les ressorts de l'esturgeon

Puis la baleine balayeuse passe

Le cimetière des petits poissons

Vite oublié le navire qui passe

Là-haut le chasseur des champs étoilés

Tu ne te cabres plus et ta main lasse

Caresse à peine son poignet hâlé

Un jour peut-être veuve délirante

Tordant les draps de ton lit déserté

En écoutant les turbines qui chantent

Le nom de l'homme te sera porté

JST Seghers 1957 p.155/156

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