Jean sans Terre conduit la caravane
Jean sans Terre conduit la caravane
Ai-je déjà foulé ce sable
Il y a cent ou cent mille ans
D'une trace plus vulnérable
Que le feu d'un soleil filant ?
En tête de la caravane
Mon chameau dans le sable bis
Cherche comme le vent profane
La clef des éternels oublis
Déjà mes arrière-grands-pères
Ont cultivé cet océan
Sans que leur ombre passagère
Pût défricher le vieux néant
Bien que la lumière mortelle
Les harcelât au coeur du jour
Ils allumaient une chandelle
Pour retrouver l'antique amour
Je porte leur ancien squelette
D'or et calciné par les ans
Et ma chair nouvelle s'apprête
A l'emplir de besoins pesants
J'entends le loup rouge qui hurle
Dans la caverne de mon sang
Croquant au bord du crépuscule
Les os du rêve renaissant
Voguez voguez lents dromadaires
Et traversez l'éternité
Depuis les aubes quaternaires
Jusqu'au tombeau précipité
Mon peuple aux bras d'or et d'ébène
Meurt de soif et surtout d'espoir
J'ouvre en mes deux poignets les veines
Pour lui donner un reposoir
Je veux que mon amour pourrisse
Et ne renaisse plus jamais
Si par ce dernier sacrifice
En l'homme un jeune Dieu renaît
Si sans que l'Alpe les arrose
Dans la peau morte du désert
Monte la fraîcheur d'une rose
Et l'ombre d'un miracle vert
Je n'aurai pas besoin de chienne
Pour chasser la faim du chacal
Il suffit que ma foi revienne
Et l'aurore de mon choral
Offrant à ceux qui les convoitent
Au chameau lent au fier lion
Le sel de ma main faible et moite
La force de ma religion
[Troisième Livre de J s T p. 9/12 ]
Jean sans Terre - Landless John p.7/8 JST Seghers 1957 p.123/124