Jean sans Terre découvre l'Ange
Jean sans Terre découvre l'Ange
Fils d'une nébuleuse
Et du grand Altaïr
Je sens la terre creuse
Et prête à me haïr
La vache du ciel beugle
En renversant les monts
Et me rejette aveugle
Au gouffre de limon
Entre deux maigres cuisses
Mon astre fut planté
Et dans le précipice
De l'homme projeté
Je sais de quelle grotte
Je vins à l'univers
Mon squelette grelotte
Dans son manteau de chair
D'une âme et de vertèbres
Péniblement muni
La chaleur des ténèbres
M'a justement banni
Et ma semelle tâte
Sur le dur continent
La route qui se hâte
Vers la mort lentement
Partout je vois des frères
Qui s'attardent légers
Sur les sentiers de terre
Et sans les abréger
Tenant à leur poussière
Dont ils sont protégés
Evitant la lumière
Et ses divins dangers
Pourtant moi je chancelle
Par crainte de souiller
L'ombre de l'hirondelle
Qui vient me survoler
La vaillante alouette
Se pose sur mon front
Et promptement becquette
Le feu de mes yeux ronds
Les savantes pépites
Des astres naufragés
Qui dans la nuit presbyte
Vinrent me ravager
Et mes arbres ancêtres
Aux membres d'éléfant
Pour me consoler d'être
Vieillard au cœur d'enfant
Me lancent des oranges
Des petits Sirius
Nourriture des anges
En ces bas-fonds perdus
Mais de ma main lépreuse
Fouillant dans le cosmos
Je trompe l'heure creuse
Je rejette mes os
Vers l'azur qui fourmille
D'archanges couronnés
Je rentre en ma famille
Prodigue et pardonné
[Troisième Livre de Jean sans Terre ] 1939 [ p. 21/24 ] Seghers1957 p 56 à 58