Jean sans Terre devant l'amour
Jean sans Terre devant l'amour
Femme sois ma mère
Femme sois ma mer
Celle en qui j'espère
En qui je me perds
Mer où tous les fleuves
Las de conquérir
L'espace enfin peuvent
Chastement mourir
Après tant d'errances
Se jeter en toi
Après les souffrances
Et les désarrois
Ouvrent les écluses
De ton grand destin
Femme ne récuse
Pas qui t'exalta
Savante complice
De mes lourds secrets
Ennoblis le vice
Par un long regret
Si tu te dénudes
Jusqu'en ton esprit
Toute solitude
Soudain te guérit
Notre Douce Dame
Qui devine tout
Jamais ne condamne
Ce qui rôde en nous
Sois sous mon déluge
L'étang qui me boit
Et sois le refuge
Du fauve aux abois
Tantôt l'anémone
Qui meurt sous mes pas
Tantôt l'amazone
Dont l'oeil dur m'abat
Toi qui fus le pôle
Pur de la clarté
Mon ongle te frôle
Ton corps est dompté
Que sous ton aisselle
Tout près de ton coeur
Pour moi seul ruisselle
L'unique liqueur
Dans les blés qui plient
Sous le vent pressant
Ta mélancolie
Me sache présent
Dans le sang des fraises
Doux à ton palais
Ta lèvre me baise
Ainsi qu'il te plaît
Et quand la chouette
Siffle tristement
C'est moi qui te guette
Chef de tes tourments
Or si je te laisse
Aux mains de la nuit
Pâle druidesse
C'est là que je suis
C'est là sous ta porte
Que mon ombre attend
Que le soir m'apporte
Ton cri consentant
Femme sois ma mère
Femme sois ma mer
En qui Jean sans Père
S'oublie et se perd
(Deuxième livre de JsT p.46)
JST Seghers 1957 p.102 à 104