Jean sans Terre passe en revue les Pères
Jean sans Terre passe en revue les Pères
Nos pères portaient des barbes stylisées
Entre les barbes cigares et mots très vieux
Ils étaient à avis de moelle et de soupe au poulet
Et se prosternaient avec délice devant le trône de Dieu
Ils vendaient des harengs achetaient des complets d'ébène
Mais Dieu était toujours présent à leurs débats
Au-dessus du pays la tempête se cacha
Lorsqu'un péché fleurit dans leurs veines
Ils étaient les pères mais aussi les déments
Qui admirait le verre ou un ballot de lainage
Ils se servaient des chênes pour y pendre leurs sages
Et des et rivières pour y contempler nuage et vent
Est-ce là le but de la vie : compter des sous
Fouiller la terre brûler ses huiles secrètes
Fabriquer des tissus pour larmes de fillettes
Limer les ongles friser les cheveux fous ?
Leurs filles voilaient de soie leurs peines inconnues
Guérissant dans leurs gorges la chanson de grue
Leurs fils méprisaient les harengs et le Dieu en commun
Et perdaient dans leur sexe les batailles de demain
Pendant ce temps les pères frisaient leur barbe de rabbi
Vendaient la houille achetaient des bois chargés d'oiselets
Construisaient des palais mangeait des rêves rôtis
Ne péchaient plus - mais la terre se mit à trembler
Un jour vint le tyran - avec lui l'ouragan
Jonchant les pavés des rues de barbes stylisées
Les portes bâillaient comme les bouches des noyés
Et seuls les chiens en deuil demeuraient gémissant
Hélas des milliers de pères et de coeurs purs
Avec leurs fils avec leurs filles ont disparu
Leur sauveur lui-même a déserté le mur
Et seules les hirondelles sont revenues
Seghers 1957 p. 78/79