Jean sans Terre rongé par le Vide
Jean sans Terre rongé par le Vide
(Première version )
Un sans sommeil dans la ville d'amiante
J'errais par les palais détruits du grand oubli
Qui guettait de ses fenêtres démentes
Le retour des amants ensevelis
Mes pas trop mûrs étaient sans résonance
Je marchais dans du sel pas même amer
Mon oreille veuve de souvenance
Etait la conque trahie par sa mer
Je brûlais sous la lumière glaciale
Et je gelais dans mon corset de chaux
J'avais faim à la table de Sardanapale
Et j'étais ivre d'évoquer de l'eau
Je trébuchais aux débris des colonnes
Qui soutenaient jadis le toit du Temps
Parmi tant d'autres seule ma colonne
Vertébrale semblait tenir pourtant
Mon ombre jadis fière et étrangère
Se collait à moi et me consolait
Comme une sœur aux syllabes légères
Et son œil invisible me brûlait
Et je suivais sa belle main de plâtre
Dont le doigt savant pointait vers le nord
Allais-je aimer ce rêve de théâtre
Dont le souffle n'enfante que la mort ?
Un corbeau grave assis sur mes vertèbres
Presque courtois de son bec carnassier
Nettoyait mon thorax de ses ténèbres
Plus habile que le ciseau d'acier
Je connaissais maintenant l'inhumaine
Solitude de l'arbre et du caillou
Et j'allais presque bénir la gangrène
Qui verdissait ma tempe et mon genou
Sous mon veston mon être est aussi vide
Que le désert surpeuplé de terreur
Et la poussière dont je fus s'oxyde
Sous le baiser de lune ensorceleur
Mais au bout de mes mornes galeries
L'aube s'apprête à remplacer le soir
Et fait pousser au bord de mes caries
La rose rédemptrice de l'espoir
[ Jean Sans Terre - Landless John p.12/13 ] Seghers 1957 p. 22/23
Version très différente dans « Jean sans Terre nettoyé par le Vide » dans
SEMAPHORE 1945 (15 strophes)