Jean sans Terre rencontre Ahasver
Jean sans Terre rencontre Ahasver
Un jour Jean Sans Terre
Rencontre Ahasver
L'authentique frère
Du vieil univers
Ahasver promène
Son long paletot
De fête en semaine
De temple en ghetto
De New-York au Caire
Il se sent chez lui
Seul propriétaire
De cet aujourd'hui
Puisque Dieu existe
Et qu'il l'a béni
Et que s'il n'existe
Pas : l'homme l'élit
Car en cas de doute
Il vaut mieux prier
La prière coûte
Moins que la pitié
Il aime la terre
Et ses devenirs
Les herbes amères
Du doux repentir
Il aime la carpe
Au vinaigre, au miel
Il aime la harpe
Du rude Ezéchiel
Il aime le rite
Et la liberté
Il aime aller vite
En solennité
Il aime la haine
Le fiel qui surit
Tout ce qui déchaîne
Son plus grand mépris
Il possède un trône
Dans chaque ghetto
Mais il vit d'aumône
Et d'immenses mots
Quand de l'Amazone
Soudain il revient
Dans sa rue personne
Ne lui cache rien
Il est le prophète
Qui connaît l'amour
Mais il l'interprète
Autrement toujours
Il voit de sa plèbe
Au regard honteux
Monter un éphèbe
Très majestueux
Fils de diamantaire
Son œil de diamant
Coupera les pierres
Et l'orgueil des grands
Pour venger des pères
L'incurable ban
Révolutionnaire
Il boira le sang
Sous la porte basse
lentement sa sueur
A la peau trop grasse
Sent mûrir son cœur
Ruth et Rachel vivent
Dans ce pur profil
Toutes les eaux vives
Du Jourdain au Nil
Car son sein prospère
Garde la vertu
Des puissantes mères
Du grand peuple élu
Sous le ciel opaque
Du ghetto maudit
Six-millième Pâques
Tu leur resplendis
Tous sont soeurs et frères
Toujours renaissants
Par la primevère
Du nouveau printemps
Tout un peuple en transe
D'un cri qui sent l'ail
Pour sa délivrance
Appelle Adonaï
Après tant de jeûnes
Ahasver le pieux
Invite le jeune
Jean au vin de Dieu
Il pile l'épice
Il tue l'agneau blond
Joyeux sacrifice
Aux saintes saisons
Le pain de souffrance
L'espoir de l'œuf dur
Tout devient cadence
Chant sanglant et pur
Mais demain encore
L'homme de mille ans
Ira vers Gomorrhe
Porter son tourment
Ainsi Jean sans Terre
Connut Ahasver
Peut-être son frère
Sûrement sa chair
[ La Chanson de Jean sans Terre p.30 ] Seghers1957 p.42 à 45