Lilith I, II, III, IV
Lilith
- I -
Les nuits où les cercles magiques perdent leur centre
Où les planètes semblent ralentir
Car la marée du sang s'émousse
Je t'appelle Lilith tournant dans le cirque que de ma tête
Ecuyère de haute voltige sur la jument de feu
Toi qui jongle avec les oeufs du monde
Balançant le soleil sur ta tête hiératique
Qui fait virer Mercure sur l'index gauche
Et tourner à ton bras droit les six anneaux de Saturne
Tes yeux tournent comme des miroirs d'alouettes
Méduse qui transforme le coeur en granit
Tous les conquérants se consument pour toi
O frisson centrifuge qui brûle à la fois
Au-dedans du diamant et au dehors du zodiaque
Ne fus-tu pas de celles qui vendaient le rêve
Au rabais sur la Voie Appienne
De celles qui cueillaient les médecines odorées sur les tombes
Et portaient à l'oreille la conque sibylline
Qui recèle la mort ?
Amante des métaux reine des herbes
Avec le hibou au point
Tu exorcises les démons
Cependant tu souffres quand te regardent les Mères
Assises en rond dans l'amphithéâtre des siècles
Devineresses sûres de leur réussite
En attendant que tournent tournent
Les tournesols jusqu'à la fin du jour
Les Cercles Magiques p.17/18 , Editions Falaize, Paris 1951
Lilith - II - Comme on ferme les yeux des morts, j'ai doucement passé la main sur les miroirs J'ai voulu éteindre ces yeux ces cercles qui m'enferment Un œil comme un cerceau tendu de papier de soie Au travers duquel le clown fait le saut de la mort Œil rond, œil monstre de Lilith Moi à qui l'hexagone de la neige Et la sphère de la pluie n'ont rien révélé De la source à l'embouchure, de la mort à la mort Je rentre, Lilith, et tu peux m'aimer à nouveau Je reviens de ma tombe où les larves de la peur M'enseignèrent de séduire la pierre occulte Et cueillirent pour moi derrière les stèles le thym bienveillant D'autres m'apprirent le chant qui endort l'aspic dans le creux de la main Je viens de là-bas où les jeunes héros donnaient leur sang Pour que les vieux aient de la pluie Où l'esprit du blé gonflait les femelles Où l'oiseau était du complot et le crocodile était dieu Tel jour, ne fus-je pas Memnon, la pierre parlante Qui chantait à l'aube sur la montagne des crânes Tu m'entendis et distinguas la harpe de mes hanches A présent tu m'aimes, Lilith, fille des vents, Le démon de mon dé t'a subjuguée Tu vis enfermée dans le donjon carré du dé Dont les temples et les prisons copient la forme Tu dors d'un sommeil d'ivoire , d'un sommeil sans paupières Mes tes yeux me regardent Tes yeux innombrables emplis d'eau noire Hublots à jamais fermés du chaland de Charon Yeux à jamais ouverts des serpents Tes yeux , Lilith, qui me perforent à mort tous les jours Les cercles se rouvrent et se referment Cercles de craie qui lentement font de moi le scorpion Cercles de vautours fermant ma spirale dans le ciel O comment échapper aux cercles du soleil et de la montre Aux outremers bleus et à la roue du Zodiaque ? Quel est ce dragon volant dans les airs et chantant tout seul Tandis qu'une fourmi entre ses dents se délecte De monter à la tour et de finir à la racine ? Quel est cet aigle dont le nid perche dans un arbre qui n'existe pas ? Personne personne ne sait Sauf Abulafia peut-être qui vécut dans le cercle intérieur Lorsqu'il se leva à minuit et chercha sa lampe Et comprit qu'elle brûlait en-dedans Il descendit en soi-même l'escalier sans degrés Portant la couronne méditante des vingt et une lettre des destinées Chaque lettre étant une clef pour la porte des portes Mais combien de vies fallut-il pour trouver le chiffre Du nom de Dieu Combien de clefs se brisèrent dans les mains friables de l'homme Pense pense pense jusqu'au bout de la folie Que la fleur gonflée de sens s'élève comme une danseuse rose Et du quartz réhabilité émane la musique des sphères Tandis que le sphex pond ses œufs, dans le cadavre d'un ange. Les Cercles Magiques p.18/19/20/21 , Editions Falaize, Paris 1951
Lilith
- III -
Lilith appelle dans son palais
Ses quatre frères les fils du Survent
Le vent blanc Orr
Kabawak le vent rouge
Kiffi le vent du Sud
Mirabad le vent gris-fer
Et leur commande de la porter
Dans son passé vers ses origines
Vers Wan la roche évanouie de Sémiramis
Couverte de l'écriture des oiseaux divins
Vers Birs-Nimrod , couronne à sept étages de Babylone
Montagne encore toujours enceinte
Vers les rochers de Médée
Et ceux des Euménides
Vers la porte de Jade
Et le Pont de Cendre
Où mes ancêtres cueillaient déjà
L'ablette au printemps
Où mes fils captureront
L'oiseau-lyre léthifère
Les Cercles Magiques p.22 , Editions Falaize, Paris 1951
Lilith
- IV -
Ton sein est la rose des roses des roses
Tu nourris tes amants d'herbes précieuses
Qui poussent dans la lave
Et des métaux irrigués de sang magique
Sentant ton bras de poussière et ta chair de rose
Qui cède au vent tous ses pétales
J'ai vécu de mourir
Et je suis mort de vivre
Et sur ma tête morte
Mon masque peint au guano
La bataille féroce de l'amour et de la faim
La bataille du noir et du blanc
Goéland contre cormoran
Qui me font un chapeau de plumage
Et des falbalas d'ailes
Des œufs des œufs dans chaque ride
Des œufs couleur aurore dans ma dure crevasse
Les pondaisons de l'araignée
Les nébuleuses de guêpes
Dans le cirque démoli de ma tête
Ah que l'ombre de mes côtes souffre !
Ignare de la migration des nébuleuses
Depuis les destructions de Chosroes et de Tyr
A la date fixe des chimères
Les Cercles Magiques p.23/24 , Editions Falaize, Paris 1951