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Poèmes Yvan Goll
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2 décembre 2008

Lilith I, II, III, IV

                   Lilith

- I -

Les nuits où les cercles magiques perdent leur centre

Où les planètes semblent ralentir

Car la marée du sang s'émousse

Je t'appelle Lilith tournant dans le cirque que de ma tête

Ecuyère de haute voltige sur la jument de feu

Toi qui jongle avec les oeufs du monde

Balançant le soleil sur ta tête hiératique

Qui fait virer Mercure sur l'index gauche

Et tourner à ton bras droit les six anneaux de Saturne

Tes yeux tournent comme des miroirs d'alouettes

Méduse qui transforme le coeur en granit

Tous les conquérants se consument pour toi

O frisson centrifuge qui brûle à la fois

Au-dedans du diamant et au dehors du zodiaque

Ne fus-tu pas de celles qui vendaient le rêve

Au rabais sur la Voie Appienne

De celles qui cueillaient les médecines odorées sur les tombes

Et portaient à l'oreille la conque sibylline

Qui recèle la mort ?

Amante des métaux reine des herbes

Avec le hibou au point

Tu exorcises les démons

Cependant tu souffres quand te regardent les Mères

Assises en rond dans l'amphithéâtre des siècles

Devineresses sûres de leur réussite

En attendant que tournent tournent

Les tournesols jusqu'à la fin du jour

Les Cercles Magiques p.17/18 , Editions Falaize, Paris 1951

                   Lilith

- II -

Comme on ferme les yeux des morts, j'ai doucement

                   passé la main sur les miroirs

J'ai voulu éteindre ces yeux ces cercles qui m'enferment

Un œil comme un cerceau tendu de papier de soie

Au travers duquel le clown fait le saut de la mort

Œil rond, œil monstre de Lilith

Moi à qui l'hexagone de la neige

Et la sphère de la pluie n'ont rien révélé

De la source à l'embouchure, de la mort à la mort

Je rentre, Lilith, et tu peux m'aimer à nouveau

Je reviens de ma tombe où les larves de la peur

M'enseignèrent de séduire la pierre occulte

Et cueillirent pour moi derrière les stèles le thym

                                               bienveillant

D'autres m'apprirent le chant qui endort l'aspic

                            dans le creux de la main

Je viens de là-bas où les jeunes héros donnaient leur sang

Pour que les vieux aient de la pluie

Où l'esprit du blé gonflait les femelles

Où l'oiseau était du complot et le crocodile était dieu

Tel jour, ne fus-je pas Memnon, la pierre parlante

Qui chantait à l'aube sur la montagne des crânes

Tu m'entendis et distinguas la harpe de mes hanches

A présent tu m'aimes, Lilith, fille des vents,

Le démon de mon dé t'a subjuguée

Tu vis enfermée dans le donjon carré du dé

Dont les temples et les prisons copient la forme

Tu dors d'un sommeil d'ivoire , d'un sommeil sans paupières

Mes tes yeux me regardent

Tes yeux innombrables emplis d'eau noire

Hublots à jamais fermés du chaland de Charon

Yeux à jamais ouverts des serpents

Tes yeux , Lilith, qui me perforent à mort tous les jours

Les cercles se rouvrent et se referment

Cercles de craie qui lentement font de moi le scorpion

Cercles de vautours fermant ma spirale dans le ciel

O comment échapper aux cercles du soleil et de la montre

Aux outremers bleus et à la roue du Zodiaque ?

Quel est ce dragon volant dans les airs et chantant tout seul

Tandis qu'une fourmi entre ses dents se délecte

De monter à la tour et de finir à la racine ?

Quel est cet aigle dont le nid perche dans un arbre qui

                                               n'existe pas ?

Personne personne ne sait

Sauf Abulafia peut-être qui vécut dans le cercle intérieur

Lorsqu'il se leva à minuit et chercha sa lampe

Et comprit qu'elle brûlait en-dedans

Il descendit en soi-même l'escalier sans degrés

Portant la couronne méditante des vingt et une lettre des destinées

Chaque lettre étant une clef pour la porte des portes

Mais combien de vies fallut-il pour trouver le chiffre

Du nom de Dieu

Combien de clefs se brisèrent dans les mains friables de l'homme

Pense pense pense jusqu'au bout de la folie

Que la fleur gonflée de sens s'élève comme une danseuse rose

Et du quartz réhabilité émane la musique des sphères

Tandis que le sphex pond ses œufs, dans le cadavre d'un ange.

Les Cercles Magiques p.18/19/20/21 , Editions Falaize, Paris 1951

                   Lilith

- III -

Lilith appelle dans son palais

Ses quatre frères les fils du Survent

Le vent blanc Orr

Kabawak le vent rouge

Kiffi le vent du Sud

Mirabad le vent gris-fer

Et leur commande de la porter

Dans son passé vers ses origines

Vers Wan la roche évanouie de Sémiramis

Couverte de l'écriture des oiseaux divins

Vers Birs-Nimrod , couronne à sept étages de Babylone

Montagne encore toujours enceinte

Vers les rochers de Médée

Et ceux des Euménides

Vers la porte de Jade

Et le Pont de Cendre

Où mes ancêtres cueillaient déjà

L'ablette au printemps

Où mes fils captureront

L'oiseau-lyre léthifère

Les Cercles Magiques p.22 , Editions Falaize, Paris 1951

         Lilith

         - IV -

Ton sein est la rose des roses des roses

Tu nourris tes amants d'herbes précieuses

Qui poussent dans la lave

Et des métaux irrigués de sang magique

Sentant ton bras de poussière et ta chair de rose

Qui cède au vent tous ses pétales

J'ai vécu de mourir

Et je suis mort de vivre

Et sur ma tête morte

Mon masque peint au guano

La bataille féroce de l'amour et de la faim

La bataille du noir et du blanc

Goéland contre cormoran

Qui me font un chapeau de plumage

Et des falbalas d'ailes

Des œufs des œufs dans chaque ride

Des œufs couleur aurore dans ma dure crevasse

Les pondaisons de l'araignée

Les nébuleuses de guêpes

Dans le cirque démoli de ma tête

Ah que l'ombre de mes côtes souffre !

Ignare de la migration des nébuleuses

Depuis les destructions de Chosroes et de Tyr

A la date fixe des chimères

Les Cercles Magiques p.23/24 , Editions Falaize, Paris 1951

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