Jean sans Terre devant le Printemps et la Mort
Jean sans Terre devant le Printemps et la Mort
Jean sans Terre : embrasse
De tes bras serrés
Les saisons qui passent
Passent sans arrêt
Car la vie remonte
De toutes les morts
Car le doute a honte
Et la nuit a tort
Quand l'ardente aurore
Immuablement
Ranime et redore
Tout commencement
Entre l'herbe sèche
Du moindre talus
S'élance la flèche
Du premier crocus
Curieuse petite
A l'œil étonné
La pieuse hépatite
Prie au bord des prés
Ecoute les cloches
Du muguet pascal
En tends sous la roche
L'orgue du cristal
L'assemblée des aulnes
Devant le ruisseau
Répète les psaumes
Du règne nouveau
Pour ses fiançailles
Le champ reverdi
Frappe les médailles
D'or du pissenlit
Les plus pauvres saules
Et les plus bossus
Portent sur l'épaule
L'oiseau revenu
Oh toi qui termines
Bientôt ton destin
Chargé d'albumine
Mordu de chagrin
Toi qui sens ta corne
Lentement durcir
Le cheveu qui t'orne
Déjà s'alanguir
Qui entend la nacre
De ta dent sauter
Que nul simulacre
Ne pourra sauver
Toi qui dans la moelle
Pourrie de tes os
Sais que ton étoile
Te voue au chaos
Est-ce toi qui chantes
Le long du chemin
Où les communiantes
S'en vont le matin ?
Toi qui t'agenouilles
Dans le trèfle blanc
Et du crâne fouilles
Le sol odorant ?
Oh ta grosse tête
Lourde : penche-la
Sur la violette
Qu'un bourdon viola
Car tu n'es pas autre
Que ces végétaux
Bagnard ou apôtre
Toi qui mourras tôt
Sache que ton âme
Toujours renaîtra
Dans le cerf qui brame
Dans le mimosa
La riche semence
De tes yeux taris
Croîtra d'abondance
Dans les myosotis
L'inquiète ancolie
Aura la couleur
De mélancolie
Qui teignait ton cœur
Lorsqu'un jour trois mètres
De terreau tassé
Couvriront ton être
Calme trépassé
Pauvre Jean sans Terre
Tu ne diras pas
Que tu es sans terre :
Tu l'embrasseras
[ La Chanson de J. s. T. p.43 à 48 ] Seghers 1957 p. 68 à 71