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Poèmes Yvan Goll
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2 décembre 2008

Jean sans Terre devant le Printemps et la Mort

      Jean sans Terre devant le Printemps et la Mort


Jean sans Terre : embrasse

De tes bras serrés

Les saisons qui passent

Passent sans arrêt

Car la vie remonte

De toutes les morts

Car le doute a honte

Et la nuit a tort

Quand l'ardente aurore

Immuablement

Ranime et redore

Tout commencement

Entre l'herbe sèche

Du moindre talus

S'élance la flèche

Du premier crocus

Curieuse petite

A l'œil étonné

La pieuse hépatite

Prie au bord des prés

Ecoute les cloches

Du muguet pascal

En tends sous la roche

L'orgue du cristal

L'assemblée des aulnes

Devant le ruisseau

Répète les psaumes

Du règne nouveau

Pour ses fiançailles

Le champ reverdi

Frappe les médailles

D'or du pissenlit

Les plus pauvres saules

Et les plus bossus

Portent sur l'épaule

L'oiseau revenu

Oh toi qui termines

Bientôt ton destin

Chargé d'albumine

Mordu de chagrin

Toi qui sens ta corne

Lentement durcir

Le cheveu qui t'orne

Déjà s'alanguir

Qui entend la nacre

De ta dent sauter

Que nul simulacre

Ne pourra sauver

Toi qui dans la moelle

Pourrie de tes os

Sais que ton étoile

Te voue au chaos

Est-ce toi qui chantes

Le long du chemin

Où les communiantes

S'en vont le matin ?

Toi qui t'agenouilles

Dans le trèfle blanc

Et du crâne fouilles

Le sol odorant ?

Oh ta grosse tête

Lourde : penche-la

Sur la violette

Qu'un bourdon viola

Car tu n'es pas autre

Que ces végétaux

Bagnard ou apôtre

Toi qui mourras tôt

Sache que ton âme

Toujours renaîtra

Dans le cerf qui brame

Dans le mimosa

La riche semence

De tes yeux taris

Croîtra d'abondance

Dans les myosotis

L'inquiète ancolie

Aura la couleur

De mélancolie

Qui teignait ton cœur

Lorsqu'un jour trois mètres

De terreau tassé

Couvriront ton être

Calme trépassé

Pauvre Jean sans Terre

Tu ne diras pas

Que tu es sans terre :

Tu l'embrasseras


[ La Chanson de J. s. T. p.43 à 48 ] Seghers 1957 p. 68 à 71   

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