Jean sans Terre épouse la Lune Première Version
Jean sans Terre épouse la Lune
Première Version
Souvent Jean sans Terre
Boit en pleine nuit
La bière lunaire
Qui mousse sans bruit
Il boit goutte à goutte
Il boit fort et sec
Mais il boit le doute
Et l'angoisse avec
Car le solitaire
Aura soif toujours
Rien ne désaltère
Le buveur d'amour
Le blême liquide
Partout répandu
Refuse aux coeurs vides
Le rêve perdu
Et trop de lumière
Ne fait que voiler
Les mille mystères
De l'ange étoilé
Lune inoxydable
Rose d'hélium
Ta neige de sable
Nous tisse un peplum
Tout l'esprit des choses
Se résorbe en toi
Tes métamorphoses
Dictent notre loi
Sein d'une amazone
Glabre et virginal
Pour lequel les hommes
Inventent le mal
Lourde d'amours louches
Avec Belphégor
Ta panthère accouche
Des chiens du remords
Tu nourris la race
Qu'il nous faut haïr
L'engeance vorace
Du sombre Nadir
Les jeunes planètes
Au front boréal
Souriantes tètent
Ton sein fulgural
Mais les nuits où lasse
Soudain tu maigris
Ta cruche se casse
Et ton lait s'aigrit
Femme entre les femmes
Soumise à ton sang
Ces nuits-là ton âme
S'offre aux moins puissants
La voix des effraies
Tourmente ta peur
Et dans l'oseraie
L'ombre des vapeurs
Sous les météores
Que l'espace éteint
Sois la mandragore
Dans un lit de thym
Lune à jamais rousse
Mortelle aux saisons
Tu nous éclabousses
Du pâle poison
Alors Jean sans Terre
L'adorable fou
Devient Jean Lunaire
Et ton triste époux
Europe n° 170 - 15 nov. 1937 p. 323/324 inédit
(Deuxième livre de JsT 1938 p. 24) Seghers p.84 à 86